Vouloir tenir la politique hors des salles d’audience relève parfois du vœu pieux. Certains protagonistes du procès qui s’est déroulé, mardi 20 octobre, au tribunal correctionnel de Lyon, contre Marine Le Pen, ont fait mine de le découvrir.
La présidente du Front national (FN) est poursuivie par quatre associations antiracistes pour incitation à la haine raciale, pour les propos qu’elle a tenus, le 10 décembre 2010, dans lesquels elle comparait les « prières de rue » musulmanes à l’« Occupation ». Elle risque un an de prison et 45 000 euros d’amende.
Une première pour Mme Le Pen, quand son père, Jean-Marie Le Pen, a collectionné ce type de procès. Pour la présidente du FN, qui nie avoir voulu établir un parallèle avec la seconde guerre mondiale, il s’agissait de démontrer que le terme d’« occupation » s’écrit avec un « o » minuscule. Pour les parties civiles, le but était de caractériser l’incitation à la haine.
Mme Le Pen aurait pu décider de ne pas se présenter à l’audience et de laisser son avocat, Me David Dassa-Le Deist, prendre seul sa défense. Mais, à un mois et demi du premier tour des élections régionales des 6 et 13 décembre, la présidente du FN, accompagnée de Christophe Boudot, tête de liste de son parti en Rhône-Alpes-Auvergne, n’a pas laissé passer l’occasion de se saisir de la tribune qui lui était offerte.
« Offensives judiciaires »
« Je n’entends pas du tout me soumettre aux offensives judiciaires du gouvernement », a-t-elle lâché à son arrivée. Et de s’en prendre, devant le tribunal, aux associations – le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), l’Association de défense des droits de l’homme et l’Observatoire contre l’islamophobie du Conseil français du culte musulman – qui se sont portées partie civile et ont conduit, par leur action, à sa mise en examen, en juillet 2014. « Ces associations sont le bras armé d’un pouvoir politique. Elles ont un engagement politique qu’elles expriment à chaque élection », s’est plainte Mme Le Pen.
C’est au cours d’une réunion publique organisée à Lyon, en pleine campagne interne pour la présidence du FN, que la fille de Jean-Marie Le Pen avait tenu les propos qui lui sont aujourd’hui reprochés. « Il y a dix ou quinze endroits où de manière régulière un certain nombre de personnes viennent pour accaparer les territoires, avait-elle lancé ce soir-là. Pour ceux qui aiment beaucoup parler de la seconde guerre mondiale, il s’agit de parler d’occupation (…). Certes, il n’y a pas de blindés, il n’y a pas de soldats, mais c’est une occupation tout de même. »
Une pique pour Bruno Gollnisch
Selon Mme Le Pen, cette référence à la seconde guerre mondiale visait à adresser une pique à Bruno Gollnisch, son adversaire dans la course à la présidence du Front, réputé soucieux des débats historiques sur la période. Lyon est la ville où le bras droit de Jean-Marie Le Pen a été implanté pendant de longues années. La juxtaposition des termes « prières sur la voie publique » et « occupation » ne relèverait donc, pour Marine Le Pen, que de la simple « figure de style de meeting ».
« Quand on est un responsable politique rompu aux meetings, si on veut faire la distinction, on prend des précautions oratoires, a rétorqué l’avocate de la Licra, Me Sabrina Goldman. Ces mots-là sont à l’adresse de Bruno Gollnisch, mais pour mieux les ramener à elle. C’est en venant sur ses références qu’elle vient draguer son électorat. »
La présidente du FN, attendue pour une réunion à Paris, s’est rapidement éclipsée. En son absence, le procureur de la République Bernard Reynaud, qui s’est approprié en partie les conclusions déposées par la défense, a plaidé en faveur de la relaxe de Mme Le Pen. Les déclarations de cette dernière rentrent pour lui dans le simple exercice de la liberté d’expression. « L’incitation à la haine doit résulter d’une exhortation claire et sans équivoque », a-t-il avancé. Or, pour le magistrat, il n’y a pas d’« incitation expresse » dans les propos de la députée européenne. « La politique, ce n’est pas la tolérance, c’est le débat des idées. La violence du verbe fait partie du quotidien des déclarations politiques », a estimé le procureur.
De son côté, le président du tribunal a choisi de placer le jugement en délibéré au 15 décembre, soit deux jours après le second tour des élections régionales. Ou quand le calendrier judiciaire tente de ne pas empiéter sur le calendrier politique. « Avant de venir, j’avais fait le vœu pieux que cette audience ne soit pas une arène politique », s’est désolé un avocat des parties civiles. Difficile de tenir la politique hors des prétoires en période électorale.