Jacques Chirac fut initié par Jacques Foccart qui le présenta aux dirigeants africains. Le continent multiplicateur de puissance pour la France était aussi au cœur des affaires.
Jacques Chirac était réputé pour sa proximité avec l’Afrique d’une manière générale et avec les chefs d’État d’Afrique francophone en particulier. On lui connaissait ainsi des liens étroits avec les anciens présidents Abdou Diouf (Sénégal), Henri Konan Bédié (Côte d’Ivoire), Alpha Oumar Kounaré (Mali), ou encore l’actuel président camerounais Paul Biya. Ce fut le cas également d’Omar Bongo qui le revendiqua même publiquement lors d’un discours de 2003 [1]. Son côté jovial et chaleureux expliquait grandement la qualité de ses relations avec ces personnes, quand l’austérité d’un Lionel Jospin était peu appréciée.
Dans les pas de Foccart
Chirac fut initié à l’Afrique par Jacques Foccart qui le présenta aux différents dirigeants africains. Contrairement aux autres barons gaullistes qui ne lui pardonnaient pas sa trahison en faveur de Giscard d’Estaing, Foccart comprit rapidement que Chirac était le nouveau chef de la famille gaulliste, et l’appuya donc autant qu’il le put. Il fut son conseiller à la mairie de Paris, à Matignon entre 1986 et 1988, puis à l’Élysée. Frédéric Turpin note toutefois bien que son influence sur Chirac se limitait à l’Afrique [2]. Chirac apprit tout ou presque de ce continent par Foccart, y compris les œuvres peu avouables comme le financement occulte des partis. On l’imagine mal ne pas être au courant de l’existence des réseaux ELF pour financer le RPR. Ce circuit Elf étant fermé par la nomination d’un balladurien à sa tête à partir de 1993, Chirac se retourna vers un autre circuit et est ainsi soupçonné d’avoir reçu des valises de billets de la part de Bongo et Mobutu pour financer sa campagne de 95 [3].
De la logique du “pré-carré” au pivot vers l’Afrique non francophone
Pour ce qui est de l’aspect diplomatique, Jacques Chirac a tenté, autant qu’il l’a pu, de maintenir la spécificité des liens entre la France et ses anciennes colonies en poursuivant la logique du “pré-carré” impulsée par le général de Gaulle. Il fut ainsi opposé à la dévaluation du franc CFA ainsi qu’à la réforme de la Coopération, qui constituaient, à ses yeux, des signes d’abandon de la solidarité française à l’égard de l’Afrique. Réputé grand connaisseur du continent noir, Jacques Chirac assumait pleinement la dimension personnelle dans les relations franco-africaines. Il était également très attentif à leur situation et pouvait ainsi discuter près d’une heure et demie avec l’ambassadeur français en poste dans le pays, fait rare dans la diplomatie française contemporaine[4]. Soutenant jusqu’à l’absurde le régime de Mobutu quand les États-Unis l’avaient lâché depuis longtemps, Jacques Chirac n’était pas réputé pour avoir mis la question des droits de l’homme au centre de ses préoccupations. Attaché aux liens avec l’Afrique francophone, Jacques Chirac fut aussi le Président qui engagea le pivot de la diplomatie française vers l’Afrique anglophone et lusophone. Un virage pris du fait du dynamisme économique de ces pays, au premier rang desquels l’Angola et le Nigéria et leurs grandes richesses en hydrocarbure.
Grand connaisseur des cultures africaines primitives
En parallèle de cette logique empreinte de realpolitik, Jacques Chirac poursuivit la fonction traditionnelle de la France d’avocate de l’Afrique auprès des institutions internationales et de l’Union européenne. Il fut aussi le premier Président français à impliquer l’Union européenne sur le continent africain, principalement d’ailleurs dans une optique de “multiplicateur de puissance” pour la France.
Alors que l’on parle souvent de l’Afrique comme d’un bloc, Jacques Chirac la voyait dans sa diversité et estimait qu’il n’y avait pas beaucoup de choses de commun entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique australe ou l’Afrique de l’est. Chaque pays avait selon lui ses spécificités. Une chose vraie sur le plan géopolitique mais qui prenait aussi tout son sens sur le plan historique pour ce fin connaisseur des cultures premières.
[1] Claude Gérard, “Chirac “l’Africain”″ Dix ans de politique africaine de la France, 1996-2006, Politique étrangère, 2007/4 Hiver, p. 906: “Le président gabonais Omar Bongo fait aussi partie du cercle étroit des ‘amis’ africains. Lui-même s’en honore lors de la conférence des chefs d’État sur la Côte-d’Ivoire le 26 janvier 2003, à Paris: le président Bongo et le président Chirac sont des amis… Je voudrais franchement affirmer, confirmer, réaffirmer qu’il est vrai qu’on l’appelle “Chirac l’Africain″.
[2] Frédéric Turpin, Jacques Foccart. Dans l’ombre du pouvoir, op.cit., pp.349-350. Pour le reste, c’est surtout Édouard Balladur qui influençait Chirac. En tout cas jusqu’en 1993.
[3] Ibid., p.379. C’est Robert Bourgi notamment qui servit alors de porteur de valise.
[4] Entretien avec Gildas Le Lidec. L’ancien ambassadeur en poste en Côte d’Ivoire nous dit qu’il ne le faisait pas avec tous les pays, et qu’il eût cet honneur parce qu’il était alors ambassadeur en Côte d’Ivoire.