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Nigeria: les déplacés de Boko Haram et l’illusion du retour, à six mois de la présidentielle

Abba Zakary, 41 ans, est arrivé à Pulka, dans le nord-est du Nigeria, il y a quelques semaines avec femmes et enfants.

Des femmes dans un des camps de déplacés de la ville de Pulka au Nigéria
Des femmes dans un des camps de déplacés de la ville de Pulka au Nigéria, le 1er août 2018 | AFP/Archives / Stefan HEUNIS

 

Comme des milliers d’autres victimes de Boko Haram, cet ancien cultivateur qui espérait rentrer enfin chez lui après des années d’errance, est passé d’un camp de déplacés… à un autre.

On nous avait dit que la situation sécuritaire était meilleure ici, à Pulka, où aucune attaque n’a été recensée depuis près d’un an, explique cet homme aux traits fatigués après près de dix ans de guerre des insurgés jihadistes qui a forcé plus de 2,6 millions de personnes à quitter leur foyer dans le nord-est du Nigeria depuis 2009.

A l’approche des élections générales, prévues en février 2019, le gouvernement nigérian et les autorités du Borno, l’Etat le plus touché par les violences, encouragent et facilitent à grand renfort de matraquage médiatique le retour de ces déplacés.

A Pulka, le drapeau vert blanc bleu de l’APC, le parti au pouvoir, et des panneaux géants affichant les visages de ses candidats s’étalent à chaque coin de ruelle en terre.

Elu en 2015 sur la promesse de vaincre Boko Haram, le président Muhammadu Buhari, qui espère briguer un second mandat, a assuré récemment que le Nord-Est était en phase de stabilisation post-conflit.

Mais quoi qu’en dise la propagande officielle diffusée en boucle sur les radios locales ces derniers mois, à Pulka comme ailleurs, l’espoir de retrouver sa vie d’avant reste largement illusoire.

Pulka est une ville-garnison, entourée de profondes tranchées, conçue sur un modèle répliqué à l’infini dans la région, avec sa base militaire, ses camps de déplacés sous perfusion de l’aide humanitaire internationale.

La plupart des déplacés sont rassemblés dans des petites villes hautement protégées par l’armée mais ils ont un accès très limité à leurs villages, et n’ont pas de moyen de survie (en dehors de l’aide humanitaire), ne pouvant pas cultiver leurs terres ni travailler, résume Fouad Diab, coordinateur d’urgences à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Coincés dans les montagnes

Aux abords de l’un des cinq camps de déplacés de la ville, située au pied des Monts Mandara, plus de 50 familles tout juste débarquées de Banki, à environ 75 km, patientent sur des nattes dans un vaste hangar de transit, le temps qu’on leur affecte un autre abri temporaire.

La plupart sont originaires des hameaux alentour, mais ils ne retourneront pas chez eux. Du moins pas dans l’immédiat. Le danger est omniprésent dès que l’on s’éloigne des localités placées sous contrôle militaire.

L’armée a certes affaibli les insurgés depuis l’époque (2013-2014) où ils régnaient en maîtres sur de larges portions du territoire, mais ils conservent une capacité de nuisance considérable entre attentats-suicides, embuscades sur les routes et enlèvements.

Pour Fadi Ali, ces trois dernières années ont été un effroyable jeu du chat et de la souris avec les jihadistes ayant établi leurs bases dans les grottes des Monts Mandara, où les militaires ne vont jamais les chercher.

Elle a dû fuir à maintes reprises Ngoshe, son village situé en contre-bas, sous le feu des attaques, se cachant en brousse et revenant prudemment lorsque Boko Haram s’en allait.

L’an dernier, ils ont massacré mon mari, ma grand-mère et deux de mes enfants durant une incursion nocturne, explique cette femme de 35 ans, qui a finalement croisé un convoi de l’armée le mois dernier et pu rejoindre Pulka sous bonne escorte.

A côté d’elle, Baba Ali, originaire de Ngoshe lui aussi, affirme que des milliers de personnes, dont des femmes et des enfants, seraient toujours bloqués dans les montagnes, où ils tentent de survivre à l’abri des jihadistes, en mangeant ce qu’ils trouvent, y compris des racines et des feuilles.

Retour des fonctionnaires

Même à Bama, deuxième agglomération du Borno, censée servir de modèle pour le reste de la région, la politique de retours massifs du gouvernement suscite de nombreuses inquiétudes chez les acteurs humanitaires.

Dans cette ville détruite à 85% par les insurgés, près de 11.000 maisons ont été officiellement rebâties sous la houlette du ministère de la Reconstruction et de la Réhabilitation.

Plusieurs milliers de personnes qui ont cru aux promesses des autorités sont arrivés ces derniers mois par vagues successives, mais sont obligés de vivre dans le camp de déplacés de la ville: selon les témoignages recueillis par l’AFP, la plupart des façades repeintes cachent des amas de ruines et les services de base manquent toujours.

Vendredi, l’organisation Médecins sans frontières (MSF) s’est alarmée de la situation critique qui prévaut dans le camp, désormais surpeuplé, où 33 enfants sont morts – notamment de malnutrition – au cours de la première quinzaine d’août.

L’hôpital général de Bama, la seule structure hospitalière de la région, n’est pas opérationnel. Les enfants sévèrement malades doivent voyager jusqu’à Maiduguri (la capitale du Borno, à une centaine de kilomètres) pour recevoir des soins adaptés, affirme MSF.

D’autres villes (Monguno, Guzamala…) désignées comme pilotes ne sont pas prêtes à accueillir le flux de retournés tant que les médecins, les enseignants et les autorités locales n’ont pas repris le travail, selon plusieurs organisations humanitaires.

Notre principale préoccupation est d’accélérer le retour des fonctionnaires et des services publics dans les localités où la situation sécuritaire le permet, explique Fouad Diab, de l’OIM.

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