C’est fait ! Les bans sont publiés : la Fnac a su convaincre Darty de rentrer dans son giron. Concrètement, que va-t-il se passer ? Interview d’Olivier Dauvers, co-auteur de Les incontournables du commerce de demain.
C’est fait ! Les bans sont publiés : la Fnac a su convaincre Darty de rentrer dans son giron. Au terme de la transaction, l’enseigne culturelle détiendra au minimum 54 % du futur ensemble. Concrètement, que va-t-il se passer ? Le point avec Olivier Dauvers, expert de la distribution, ancien rédacteur en chef du magazine Linéaires et auteur, avec Franck Rosenthal, de Les incontournables du commerce de demain, éditions Dauvers, juin 2015.
Quel est l’intérêt d’un tel rapprochement ?
– La première question à se poser c’est en effet : pourquoi ils se rapprochent ? Dans ce cas précis, on est dans une logique de volume. Concrètement, cette opération va permettre à chacun de gagner en compétitivité. Sur les conditions d’achat, ils pèseront ensemble beaucoup plus lourd que séparément face à leurs fournisseurs. Dans l’électronique grand public, ils ont en face d’eux des géants.
Que pèsent la Fnac ou Darty face à Samsung ou Apple ? Pas grand-chose ! Là ils seront plus forts. Le groupe ainsi constitué vaudra quelque 7 milliards. Il pourra réaliser de substantielles économies d’échelle. Sur toutes les fonctions sur lesquelles il y aura des doublons notamment.
Justement, quel est le risque pour l’emploi ?
– Sur les fonctions non commerciales, il est évident que l’emploi sera touché. Dans toutes les fusions c’est comme ça. Par contre, dans les magasins, cela n’arrive quasiment jamais.
Soit ils resteront dans le groupe et il n’y a aucune raison pour que ça bouge. Soit l’Autorité de la Concurrence les obligera à en céder certains. Et l’emploi devrait être maintenu.
Prenons l’exemple du quartier parisien des Ternes, dans le 17e arrondissement. Il y a une Fnac et un Darty à moins de 100 mètres l’un de l’autre. L’Autorité de la Concurrence exigera probablement la cession de l’un des deux. Mais s’installera alors une autre enseigne, et l’emploi devrait être maintenu.
Quelles fonctions non commerciales seront donc touchées ?
– Les centrales d’achat, la logistique, la comptabilité, le management…
Les changements seront-ils rapides ?
– On n’en verra pas les conséquences avant 6 ou 12 mois. Il faut que les organisations se rapprochent, que les doublons soient identifiés.
Qui a le plus à craindre dans la fusion ?
Dans toute fusion, il y a une proie et un prédateur. En général, c’est le prédateur qui mange la proie … Une partie des cadres de Darty peut considérer qu’ils n’auront plus leur place dans le nouveau management. Et partiront d’eux-mêmes.
Mais il faut s’attendre à ce qu’il y ait de la casse dans les deux groupes au niveau de l’encadrement. Regardez ce qui s’est passé il y a une quinzaine d’année entre Carrefour et Promodès, on n’a pas gardé deux centrales d’achat, deux patrons…
C’est la conséquence logique et souhaitée de la manœuvre. Ils ne peuvent pas convaincre les actionnaires de la partie adverse de l’intérêt du rapprochement (notamment par les économies induites) et, au moment de prendre la hache pour tailler, jouer petit bras ! La Fnac ne conduit pas cette opération pour conserver Darty en l’état, avec son siège social et ses entrepôts à l’identique. Alexandre Bompard rachète Darty pour faire des économies d’échelle ! C’est du bon sens !
Pourtant il n’est pas question pour l’instant de fusionner les marques …
-A ce stade, c’est normal que la Fnac fasse la promesse de garder deux marques. Cela ne coûte rien de le dire. On ne rachète jamais un concurrent en annonçant la couleur aussi crûment. Alexandre Bompard ne va pas dire, venez, on va vous décapiter.
D’ailleurs je ne le soupçonne pas de vouloir cela aujourd’hui. Mais il est comme un homme politique : il fait une promesse à ses électeurs qu’il n’est pas sûr de pouvoir tenir… C’est le jeu !
Chaque enseigne a une identité propre, très marquée. Les fusionner ne serait-il pas contreproductif ?
– Darty a un positionnement très marqué électroménager et électronique grand public… La Fnac, elle, est à la fois sur le high-tech et le produit culturel. Ils ont des positionnements très différents, mais des points communs donc de vraies synergies dans leurs activités.
La perspective de garder à long terme ces deux marques ? Je n’y crois pas. Car même si elles ne sont pas identiques, elles se ressemblent beaucoup. Ce ne serait pas la première fois qu’une marque très appréciée disparaitrait. Souvenez-vous de Vivagel… C’était une marque très ancrée dans notre paysage commercial mais elle a disparu.
Aucun groupe ne garde une marque pour le plaisir de conserver le goût du passé. Une marque, pour la faire vivre, il faut dépenser beaucoup d’argent. Aussi puissante soit-elle dans le cœur des consommateurs et dans leur tête, elle le reste parce que les actionnaires investissent dans la publicité, la promotion…
La disparition de la marque Darty peut-elle être envisagée à plus ou moins long terme ?
– Si la marque Darty doit disparaître, ce sera fait dans 5 ans. Au début, il ne se passera pas grand-chose. Alexandre Bompard doit d’abord réussir la fusion, réussir l’intégration de Darty dans la Fnac. Cela va l’occuper pendant deux ans environ. C’est très compliqué.
Y a-t-il un risque, pour la Fnac cette fois, de perdre son identité culturelle ?
– Si la Fnac reprend Darty, ce n’est pas pour abandonner des marchés. Cela n’arrive jamais dans le commerce ! Les produits culturels sont peut-être en déclin mais ils sont encore vendus. Et ce n’est pas parce que la liseuse menace le livre que l’enseigne doit abandonner ce marché.
Face à Amazon, quel sera le poids du groupe ainsi constitué ?
– Ils rivaliseront évidemment beaucoup mieux avec le géant américain. A chaque fois qu’une enseigne renforce son poids, elle améliore ses conditions d’achat. Elle est plus compétitive. La fusion leur permettra de diminuer les écarts de prix et donc de gagner des clients.
La Fnac ou Darty ont beau être des géants dans l’imaginaire collectif français, ce sont des nains face à des fournisseurs mondiaux. Ils étaient trop petit, chacun séparément. Aujourd’hui la Fnac va faire la course en tête, et laisser loin derrière ses concurrents.
Qui seront les grands perdants ?
– L’alliance Fnac-Darty ce n’est pas une bonne nouvelle pour Boulanger ou Cultura, pour ne citer qu’eux. Ils ne seront pas mis en péril immédiatement mais il faudra qu’ils réagissent.
A côté, il y a des enseignes comme But ou Conforama qui vendent aussi de l’électronique grand public mais souffrent dans leur cœur de métier, l’ameublement. Ils envisageront peut-être sur du long terme des alliances.
Quand dans un secteur d’activité, le numéro 1 avale le numéro 2, c’est un vrai tremblement de terre. Il faut s’attendre à ce qu’il y ait des répliques…