La charcuterie cancérogène ? Certains commerçants de New York, portés depuis plusieurs années par un intérêt nouveau pour leurs produits, s’inquiètent, mais les clients n’ont pas l’intention de changer leurs habitudes.
« Ca craint », lâche, visiblement ennuyé, un cadre d’une des charcuteries les plus réputées de New York, sous couvert d’anonymat, au sujet des conclusions de l’étude publiée lundi par l’agence cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Il ne veut pas que le nom de son établissement apparaisse dans la presse car il craint la « mauvaise publicité ». Ses ventes n’ont pas faibli « pour l’instant », dit-il, le regard inquiet.
Les clients, eux, ont beaucoup moins d’états d’âme. Aucun d’entre eux ne lui a parlé de l’étude.
« Il y a plein de choses susceptibles de vous faire avoir un cancer », philosophe John, qui achète régulièrement des saucisses dans ce magasin. « La vie donne le cancer. On va tous mourir un jour », ironise Steven Sebbane.
Il y a plusieurs décennies que la charcuterie a obtenu ses lettres de noblesse à New York, grâce à l’immigration polonaise, allemande et ukrainienne principalement. Mais depuis quelques années, elle profite, après le fromage, le pain ou la bière, de l’attrait d’une frange croissante des New-Yorkais pour la qualité.
« Beaucoup d’endroits qui vendaient du fromage vendent de la viande et, à mesure que l’offre de l’un augmente, celle de l’autre aussi (…) C’est devenu beaucoup plus populaire », observe George Wright, responsable de la boutique Murray’s au marché de la gare Grand Central.
Jusqu’ici, pour les consommateurs, la nouvelle frontière n’était plus celle du prix, mais de la qualité, qui séparait les charcutiers locaux de la grande distribution, sujette à toutes les suspicions sur ses méthodes et ses ingrédients.
Mais l’étude place le curseur ailleurs, au risque de mettre tous les producteurs dans le même panier, car il n’y est pas question de qualité. « J’avais tendance à penser qu’en achetant la viande ici, elle serait meilleure qu’au supermarché », explique Christina, à la sortie de Schaller und Weber, la charcuterie allemande la plus célèbre de New York, située dans le quartier de l’Upper East Side.
– Qualité et modération –
En outre, l’exigence de qualité a un coût car elle tend à rompre avec les méthodes industrielles qui ont permis d’abaisser les prix de la grande distribution.
« Nous sommes complètement désavantagés par rapport à des marques comme Boar’s Head ou Smithfield (deux des leaders de la charcuterie industrielle), mais leurs préoccupations sont différentes des nôtres. Ils regardent le bénéfice. Ils veulent faire le produit le moins cher possible pour devenir plus accessibles », explique Ben Turley, un des trois fondateurs de The Meat Hook, une boucherie-charcuterie qui a ouvert en 2009 dans le quartier le plus tendance de New York, Williamsburg à Brooklyn.
The Meat Hook a prioritairement recours à des fermiers locaux qui nourrissent leurs bêtes à l’herbe, segment qui ne représente que 3% du marché américain, selon Ben Turley, et sans additifs.
Il assure néanmoins que le prix de ses produits n’est « pas éloigné » de ceux de Whole Foods, une chaîne de supermarchés bio en pleine expansion aux Etats-Unis.
« Des études comme celle-ci ne fragilisent pas nos efforts parce qu’elles ne prennent pas en compte les pratiques de l’agriculture durable (…) Elles sont beaucoup plus préjudiciables pour le système classique que pour nous », estime Ben Turley.
Pour beaucoup, l’étude ne remet pas en cause le choix de la qualité mais souligne davantage l’importance de la quantité, dans un pays qui reste un des plus gros consommateurs de viande au monde.
« Ce que nous dit l’étude, c’est que vous pouvez manger de tout avec modération (…) Je pense que je respecte ça, donc je ne suis pas trop inquiète », explique Archana Dwivedi, cliente du marché de Grand Central, qui travaille aux Nations unies et dit acheter « rarement » de la charcuterie.