Brillant avec l’OM et rappelé chez les Bleus, Lassana Diarra est un personnage insaisissable.
Après quinze mois sans jouer, six matches de haut niveau avec Marseille ont convaincu Didier Deschamps d’appeler Lassana Diarra (30 ans) pour les matches des Bleus contre l’Arménie et le Danemark, la semaine prochaine. Plus de cinq ans après la dernière de ses 28 sélections. Dimanche, à Paris, la ville où il a grandi, l’un des joueurs français les plus secrets prolonge son retour spectaculaire sur le devant de la scène.
Onze clubs en quinze ans
Quatre clubs avant sa majorité (Paris FC, Nantes, Le Mans, Le Havre), sept chez les pros. Diarra n’a porté aucun maillot plus de deux saisons, sauf celui du Real (2009-2012). Avant d’aller au HAC (2002-2005), il avait passé plusieurs mois sans jouer. “Lassana, très jeune, c’était déjà un patriarche, au caractère bien trempé, capable de vous dire non avec fermeté”, se rappelle Franck Sale, l’un de ses éducateurs au Havre. En 2005, Chelsea le débauche à 19 ans mais son refus de prolonger engage un bras de fer un an plus tard. Il débarque à Arsenal en août 2007, le dernier jour du mercato, avec la promesse de jouer. Se retrouve remplaçant, n’encaisse pas et s’en va briller toute l’année 2008 chez le nouveau riche Portsmouth, où le Real viendra le chercher.
“Partout où il est passé, il a manqué de patience, regrette le recruteur Guy Hillion, qui l’a fait venir à Nantes à 13 ans puis à Chelsea. Avec ses choix, il fait une bonne carrière sportivement, et exceptionnelle financièrement.” Vu le parcours heurté du petit gars de Belleville, fils d’un manutentionnaire et d’une femme de ménage que les recruteurs chez les jeunes n’ont jamais rencontrés, c’est déjà une réussite.
A Moscou, les millions et les menaces
En signant à l’Anji Makhatchkala en 2012, il devient un des trois joueurs français les mieux payés. Un an plus tard, il conforte son train de vie au Lokomotiv Moscou. Mais visé par une enquête sur le fair-play financier, le club russe essaie de le vendre, puis de baisser son salaire. Diarra refuse. Prétextant un retard à l’entraînement, en août 2014, le Lokomotiv rompt son contrat et saisit la Fifa, qui condamne le joueur à verser 10 M€, considérant qu’il était à l’origine du litige.
Pendant quinze mois, il est privé de compétition, subit visites médicales quotidiennes et menaces diverses. Il s’entretient en France, en Angleterre et en Italie, reçoit de nombreuses propositions (Inter, West Ham) mais aucune n’aboutit car son futur club pourrait être jugé solidaire d’une éventuelle sanction. Ses défenseurs ont finalement obtenu la levée de cette disposition au printemps dernier, ouvrant ainsi la porte à l’OM. Une audition devant le Tribunal arbitral du sport de Lausanne aura lieu le 18 janvier. “Nous avons contesté la rupture car le Lokomotiv n’a pas de juste cause à faire valoir”, résume son avocat français, Me Olivier Martin. Diarra réclame le versement de salaires et primes impayés, des sommes “très importantes”.
Globules rouges, bleus au coeur
Diarra le subodore : il a été associé à Knysna dans l’esprit du public. Sauf qu’il n’était pas en Afrique du Sud : trois semaines avant le début du Mondial 2010, il avait quitté le stage de Tignes victime d’une maladie génétique (drépanocytose) qui altère les globules rouges et se révèle en altitude. Ce forfait brutal avait interpellé. “C’est une anomalie fréquente [notamment en Afrique] mais souvent bien tolérée, éclaire Alain Simon, le médecin des Bleus à l’époque. C’était le premier cas auquel on était confronté. À l’époque, la Fédération ne faisait pas de test spécifique, elle recherche un peu plus maintenant. On avait d’ailleurs découvert qu’un ou deux autres joueurs y étaient sujets. Le diagnostic était difficile.” La sentence était tombée à l’hôpital de Bourg-Saint-Maurice, quarante-huit heures après les premiers symptômes. Quinze jours d’arrêt avaient été préconisés. Trop tard pour envisager raisonnablement une participation à la Coupe du monde dans l’esprit de Domenech, qui n’avait “pas pris de risque”.
La retraite à 28 ans
Être rappelé cinq ans après sa dernière apparition en Bleu, en août 2010 contre la Norvège, c’est rare. Même Makelele (3 sélections entre 1995 et 2000) et Emmanuel Petit (2 entre 1993 et 1997) n’ont pas connu un tel passage à vide. En mars 2013, Lassana Diarra avait annoncé sa retraite internationale, à 28 ans et autant de sélections. Laurent Blanc et Didier Deschamps en avaient pris pour leur grade. “Ça va rester mais j’assume”, souffle-t-il aujourd’hui.
À l’époque, il acceptait leur choix de ne pas le sélectionner, pas leurs explications (temps de jeu, club exotique). Dans son esprit, ils ne comptaient pas sur lui pour d’autres considérations. Il doutait aussi que certains appelés à son poste (Gonalons, Cabaye) aient le niveau pour s’imposer à Chelsea ou au Real.
Les deux sélectionneurs sont finalement revenus vers lui : Blanc voulait l’emmener à l’Euro 2012, il avait décliné pour des “raisons personnelles”. Deschamps a, lui, trouvé les mots pour le sortir de sa retraite après un mois et demi à l’OM. Il se murmure que Patrice Evra a aussi pris son téléphone. Lass était déjà convaincu, il avait “un sentiment d’inachevé” avec l’équipe de France.
Témoin assisté et faux djihadiste
En dehors du terrain, Lassana Diarra préfère l’ombre à la lumière. Il entretient un rapport distant avec les médias : ses interviews, loin du robinet d’eau tiède, se comptent sur les doigts de la main. Sa défiance originelle est montée d’un cran quand, en septembre 2011, Paris-Normandie a révélé qu’il était mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale. Quatre ans plus tard, cette affaire n’a toujours pas été jugée et s’est même dégonflée avec le statut de témoin assisté obtenu par son avocat Me Dupond-Moretti en juin 2012. Diarra serait même un dommage collatéral d’une arnaque.
En avril 2014, il a fait les gros titres pour une histoire bien plus étonnante. Des comptes proches de Daech avaient annoncé le ralliement aux côtés des djihadistes syriens d’un ancien joueur d’Arsenal et du Real, photo d’un homme cagoulé à l’appui. La ressemblance était lointaine, mais le coup de com réussi. La rumeur a enflammé la Toile puis la presse anglaise. Son avocat a dû démentir. Lass, qui n’a jamais caché sa foi, avait préféré en rire sur Twitter : En Syrie Lol la blague, bonne soirée!