Amma, ou une de ses rencontres entre parenthèses faisant sensiblement écho, au présent que nous bâtissons tout autant que celui que nous subissons.
Dans la religion Amour qui est la sienne et dont elle tente d’en nourrir le monde, il n’est question ni de frontière ni de distance, mais plutôt de rapprochement. Nul besoin de parcourir des milliers de kilomètres pour rejoindre son ashram situé entre la Mer d’Arabie et les lagunes de l’Etat indien du Kérala, elle vient à vous ou presque. Amma, la sage indienne, multiplie depuis 1975, les escales dans le monde comme pour mieux y réunir les individus à travers ses darshans, devenus le symbole de son engagement. Ces étreintes de tendresse qui, offertes à un rythme aussi effréné que le temps semble compté, attirent les foules. Plus de 38 millions de personnes sont, à ce jour, passées dans les bras d’Amma. Des anonymes aux artistes (Marion Cotillard, Claude Lelouche, Sharon Stone, Jean Dujardin…), en passant par les Nations Unies et les plus grands dirigeants de la planète: tous l’honorent et s’en inspirent.Un phénomène mondial qui interpelle autant qu’il intrigue tant il remet en question les fondements d’une société actuelle, où le matériel et l’égo seraient devenus rois. Un jeu de la curiosité et son voyage qui m’ont amenée à partir à la rencontre de la Mahatma (Grande Ame en sanskrit) lors de sa récente visite à Châlons-en-Champagne.
Au sein du vaste complexe du Capitole, l’encens se dissipe dans l’atmosphère. Des musiciens entonnent des chants spirituels indiens hypnotiques. Amma, vêtue d’un sari immaculé, est assise en tailleur sur un petit trône ou elle délivre ses premiers darshans. Autour d’elle, se serrent nombre de personnes dans l’attente de leur tour. L’enchainement semble méthodique. On se présente à elle, à genoux. Un volontaire passe une main sur votre nuque avant d’être accueilli dans les bras d’Amma. Tête sur sa poitrine, l’étreinte et son bercement durent quelques minutes. Un même rituel pour embrasser sans s’arrêter, ni même manger, tous ceux qui se présenteront à elle. Des chrétiens, des bouddhistes, des musulmans, des Juifs, des non-croyants… La plupart en recherche non pas de religion, mais de spiritualité.
A l’observer faire, entre son regard plein s’apparentant à celui de l’enfant et sa stature maternelle, on ne sait véritablement quel âge lui donner. Seule sa présence semble certaine comme frappée par l’évidence.
Un acte révolutionnaire
Une évidence pourtant jugée révolutionnaire dans le pays d’Amma. Amma ou Sudhamani, cette petite-fille d’une famille pauvre de pêcheurs du Kérala (Etat de l’Inde), qui se retrouve, pas hasard sur le chemin du Bhakti Yoga. Ou le Yoga de la dévotion qui l’amènera, à ses 9 ans et de manière innée à réconforter les plus miséreux en leur apportant vivres et étreintes. Un comportement qui va l’encontre des principes de la société indienne, pour qui la petite fille et future femme doivent rester silencieuses et invisibles, au point que même les murs ne devraient les entendre. La société comme sa famille la répudient. Ma famille ne pouvait comprendre que je sois si ouverte et avenante, ils ignoraient totalement les principes de base d’une attitude spirituelle dira-t-elle plus tard. Mais plongée dans cette méditation, l’hostilité à son encontre s’illustre comme un coup d’épée dans l’eau. Sudhamani dont la conscience a atteint l’éveil a dépassé la peur, la souffrance, l’agitation, pour développer la sérénité et l’équanimité. Elle continuera à faire ce qu’elle sent devoir faire. Au service des autres.
Le sel de l’expérience
Plus d’une cinquantaine d’années après, de retour au Capitole de Chalons-en-Champagne, l’intention et son impacte semblent intacts. Après avoir reçu le darshan, certains sont soudainement pris d’une forte émotion, sanglotent et parfois s’effondrent en larmes. Quand vient mon tour entre ses bras, je ressens après quelques secondes de contrôle, comme une sorte de relâchement. Un apaisement ponctué de grandes respirations attrapant au passage les notes de musc, rose et jasmin qui parfument son sari. Comme une sorte de retour à la source. Maternelle.
Un voyage en paix intérieure.
Le sel de cette expérience reposerait donc dans ce qui se ressent et se partage bien au-delà des mots. Un moment de répits ou de réponses dans un monde en quête de sens. Dans l’entretien qu’elle m’accordera plus tard, Amma m’explique son action par l’étreinte telle une ambition: Avec le pouvoir de l’amour et de la compassion, on peut sauver le monde. L’amour est le but ultime de la vie. L’amour est en chacun de nous tous. Et il faut le révéler. L’amour de soi et pour les autres.
Mais Amma, peut-elle véritablement transmettre à tous, cette force d’aimer, ou encore ranimer la vie en chacun? Quoi qu’il en soit, son aura bienfaitrice s’active bien au-delà. Sur tous les terrains et dans la vie de tous les jours, à travers son ONG et ses milliers de bénévoles qui la composent.
Embracing the World
A l’instar du colibri qui tente d’éteindre le feu, Amma a choisi d’étreindre encore plus largement le monde afin qu’il réponde concrètement à ses enjeux. Au quotidien, son ONG Embracing the world aide les plus démunis en comblant leurs cinq besoins fondamentaux: nourriture, logement, santé, éducation et moyens d’existence. Un engagement d’envergure qui jouit depuis 2005 d’un statut consultatif à l’ONU.
Et pour ce qui semble être un acte de résilience face au traitement ou encore dénigrement qu’on a pu lui infliger en tant que femme indienne, le féminin est au cœur de son engagement: Il est crucial que les femmes redécouvrent leur nature fondamentale. Car c’est seulement ainsi que nous pourrons sauver le monde. Un prisme par lequel, elle défend l’égalité des droits des humains. A la croisée des religions et des origines. A la croisée des Hommes et des femmes. Les hommes et les femmes n’ont pas été créés pour entrer en compétition, mais pour se compléter. Si nous ne comblons pas le gouffre, en traitant hommes et femmes avec le respect et l’amour qui conviennent, l’avenir de l’humanité en sera obscurci.
Ainsi, se concluerait la rencontre avec Amma. Certains penseront qu’elle fait partie d’une utopie, d’un grand rêve. Mais si, faisait-elle tout simplement partie de ces gens qui y croient et agissent en demain? En une autre réalité possible et en chacun. Cet autre monde qui nécessite, certes, une sorte de courage; ce courage indispensable pour voir la vie autrement, comme lorsqu’on était peut-être enfant.
Amma, ou une de ses rencontres entre parenthèses faisant sensiblement écho, au présent que nous bâtissons tout autant que celui que nous subissons.