Ils étaient attendus de pied ferme à Abidjan, où le gouvernement ivoirien avait déployé, ces deux derniers mois, un impressionnant dispositif de sécurité. Mais les terroristes ont frappé un angle mort, le dimanche 13 mars, en prenant d’assaut à la kalachnikov la plage de Grand-Bassam, à 40 km au sud-est d’Abidjan. L’attaque a été revendiquée par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et fait, selon un bilan officiel, 14 victimes civiles (dont plusieurs expatriés) et deux militaires, ainsi que six terroristes abattus. Une première dans le pays.
Grand-Bassam, haut lieu du tourisme en Côte d’Ivoire et classé au Patrimoine mondial de l’Unesco pour ses vestiges coloniaux, est prisé par les Ivoiriens et les expatriés. Tous les week-ends, ils sont nombreux à s’y rendre pour passer du temps entre amis ou en famille. « C’est au moment de passer à table pour le déjeuner que j’ai entendu les premières rafales », rapporte au Monde Afrique Jean-Marc, un homme d’affaires canadien installé à Abidjan. Il était 13 heures, heure locale.
Arrivé à l’hôpital général de Grand-Bassam, où affluaient de nombreux blessés dans un ballet incessant d’ambulances militaires et civiles, il dit avoir échappé de justesse à la mort. « Ils [les terroristes] étaient à 5 mètres de moi. Je n’ai pas eu le temps de les dévisager car il fallait rapidement fuir et se mettre à l’abri », ajoute-t-il, ayant tout abandonné derrière lui.
« Ils se sont mis à tirer à bout portant. C’était effroyable ! »
Aux urgences, le personnel soignant est débordé. Entre l’intervention auprès des blessés et la gestion des inquiétudes des proches, il faut évacuer certains blessés à Abidjan. « Nous avons enregistré deux morts et dix-sept blessés. Les principaux cas critiques sont envoyés à la Polyclinique internationale d’Abidjan où il y a du matériel de référence », confie aux journalistes le médecin-chef.
Dans la cour du centre hospitalier, Corinne, une Néerlandaise, est en larmes. « Nous étions dix-huit réunis pour une sortie détente. Quatre hommes se sont approchés, se sont concertés, puis un a crié “Go !” Alors, ils se sont mis à tirer à bout portant. C’était effroyable ! », témoigne-t-elle en robe de chambre, étreinte par la douleur d’avoir perdu au moins deux amies.
Une peine que partage Fatou Doumbia, une jeune vendeuse de noix de coco et d’arachides grillées aux abords de la plage. Rôdant sans cesse dans les couloirs de l’hôpital, elle ne sait où donner de la tête. « Que vais-je dire aux parents ? Ma sœur a été mortellement touchée par une balle perdue, qui l’a atteinte au cou », dit-elle. Ses marchandises et sa recette du jour n’ont pu être sauvées pendant la débandade. Pendant ce temps, des pick-up chargeaient les corps des victimes et des photos ensanglantées circulaient sur les réseaux sociaux.
Habituellement bouillonnant les fins de semaine, Grand-Bassam a vu ses commerces fermés à la demande des autorités. La population s’est massée au centre-ville, à 2 kilomètres des lieux de l’attaque, pour suivre les événements. « Au départ, nous pensions à un braquage, parce qu’on ne s’attendait pas à cela. Pour nous, c’est à Abidjan que les terroristes allaient frapper en premier », axplique André Konan, pompiste.
Menace permanente
Mais pour le secteur hôtelier de la cité balnéaire, la menace était permanente depuis les attaques contre de grands hôtels de Bamako et de Ouagadougou, sans oublier l’hôtel Imperial Marhaba de Sousse, en Tunisie, où le mode opératoire n’est pas sans rappeler celui de Grand-Bassam. « Lorsque les autorités ont décidé de sécuriser les abords des hôtels à Abidjan, nous n’avons pas compris pourquoi ceux de Bassam n’avaient pas été pris en compte, alors que les touristes y sont réguliers. Aujourd’hui, voilà ce qui est arrivé », se désole Abé, gérant de l’hôtel Etoile du Sud, un des sites ayant subi l’attaque. « Le secteur du tourisme était en plein redressement, mais le coup qu’il vient de prendre est très dur », ajoute-t-il.
Assis près du centre de commandement des opérations de l’armée, Jean-Baptiste Beugré, employé à l’hôtel Cana’an Beach, n’a pas compris la facilité avec laquelle les terroristes ont opéré.
« Ils sont venus dans une pinasse [embarcation de fortune faisant taxi collectif] et ont maîtrisé le littoral pendant trois heures. Les forces de police que nous avons contactées en premier n’ont pas réagi, tient-il à dénoncer. C’était l’horreur. Ils tiraient à bout portant et à plusieurs reprises dans la tête de leurs victimes. »
Débarquées près de deux heures après le début de l’assaut, les forces spéciales ivoiriennes, appuyées par des blindés et des Dozzos (chasseurs traditionnels) sont parvenues à reprendre le contrôle de la situation, non sans avoir perdu la trace de deux djihadistes. La faute à une défaillance dans la coordination des opérations, selon un responsable de la Force d’intervention rapide (FIR) qui a préféré garder l’anonymat.
« Nous aurions pu éviter le carnage si seulement on avait fait décoller au plus vite un hélicoptère. Hélas, nous avons perdu une heure qui a coûté cher », fulmine l’officier, tout en assurant que les opérations des forces spéciales étaient en cours pour mettre hors d’état de nuire les deux assaillants en fuite.
Vers 17 heures, un convoi de 4 × 4 avec des plaques diplomatiques est parti en trombe pour Abidjan. Un diplomate de l’ambassade des Etats-Unis se trouvait en effet au moment de l’attaque au Musée du costume de Grand-Bassam, qui recevait une délégation américaine. Le musée se trouve tout près de l’hôtel Koral Beach, l’un des trois visés par les assaillants.
A la tombée de la nuit, les restaurants et les autres hôtels de la zone restaient fermés. Un seul, l’hôtel de France, était ouvert et accueillait les touristes ayant pu échapper aux assaillants. Une équipe médicale y administrait encore des soins aux blessés. Dans la ville, les populations, habitées par la peur, étaient invitées à rester chez elles.
Alexis Adélé Contributeur, Le Monde Afrique, envoyé spécial à Grand-Bassam)