Les opposants à Paul Kagame, au Rwanda comme en République Démocratique du Congo, ont du mal à croire que Kizito Mihigo se soit suicidé, comme l’avance la police de Kigali.
Le prétendu « suicide » en détention lundi de Kizito Mihigo, un célèbre chanteur rwandais dont la musique a été interdite par le pouvoir, suscite des interrogations voire la condamnation et l’indignation en République Démocratique du Congo (RDC).
Rescapé du génocide durant lequel au moins 800 000 personnes sont mortes en trois mois, d’avril à juillet 1994, ce chanteur de gospel avait été arrêté trois jours auparavant pour avoir tenté de traverser la frontière sud du Rwanda, vers le Burundi.
Ses chansons provoquaient la colère du gouvernement du président Paul Kagame. Kizito Mihigo, qui prône la paix et la réconciliation, critiquait le programme gouvernemental lancé en 2013 qui oblige les Hutus à demander pardon pour leur rôle dans le génocide perpétré contre les Tutsis.
« Les mains ensanglantées de Kigali »
En RDC, la mort du musicien a réveillé la colère antirwandaise récurrente. Des Congolais accusent Kigali de vouloir « balkaniser » l’est de leur pays, où après le génocide de 1994, de nombreux Hutu se sont réfugiés par peur de représailles.
Deux députés congolais, Patrick Muyaya et André Claudel Lubaya, ont violemment remis en cause la thèse du suicide, le second dénonçant « les mains ensanglantées du pouvoir réactionnaire de Kigali ».
« Sincèrement, que ces politiciens marginaux aient la décence de se taire et de s’occuper de leur pays. Le suicide malheureux d’un jeune Rwandais au Rwanda ne les concerne pas », a répondu sur Twitter le ministre rwandais en charge de l’Afrique de l’Est, Olivier Nduhungirehe.
De nombreux internautes congolais ont partagé sur la toile une chanson de Kizito Mihigo, « Mon frère congolais », qui exhorte à la réconciliation Congolais et Rwandais.
Dans son histoire récente, la RDC, plus grand pays d’Afrique subsaharienne (2,3 millions de km2) a frôlé l’éclatement au cours des deux guerres du Congo de 1996 à 2003.
Entre 1998 et 2001, le Rwanda et ses alliés congolais ont ainsi contrôlé le Kivu (est). Les armées régulières du Rwanda et de l’Ouganda se sont même livrées à une « guerre des six jours » pour le contrôle des richesses (diamant, or) à Kisangani dans le nord-est de la RDC, en juin 2000.
Depuis les accords de paix du début des années 2000, des rebelles, parfois soutenus par Kigali, avaient continué à défier Kinshasa. Toutefois, ces derniers jours les deux pays ont amorcé « un rapprochement diplomatique, mais aussi sécuritaire », selon Jeune Afrique. Une démarche qui n’est pas du goût de tous.
D’autres morts suspectes en détention
Pour sa part, l’ONG de défense des droits de l’homme Amnesty International a demandé dans un communiqué « une enquête indépendante, impartiale et approfondie afin de déterminer la cause » de la mort du chanteur.
« Cette affaire ne doit pas être étouffée » et l’enquête doit déterminer « si les pratiques et les conditions de détention ont causé la mort de Kizito Mihigo ou y ont contribué », selon Deprose Muchena, directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est et australe, cité dans le communiqué.
Kizito Mihigo n’est pas la première personnalité critique envers le gouvernement à mourir de manière suspecte pendant une détention au Rwanda.
L’année dernière, un ancien directeur général du bureau de Kagame a été retrouvé mort dans une prison militaire après avoir été condamné à 10 ans pour corruption. En 2015, le médecin personnel de Kagame, Emmanuel Gasakure, a été abattu par la police alors qu’il était en détention.