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Le cyanure de sodium menace Tianjin

Que sont devenues les centaines de tonnes de cyanure de sodium stockées dans l’entrepôt où se sont déclenchés les terribles déflagrations et l’incendie qui ont fait au moins 114 morts à Tianjin, en Chine ? Et quels dangers cette substance fait-elle courir à la population et à l’environnement ? Six jours après la catastrophe, les spécialistes ne cachent pas la difficulté à en évaluer les risques. « L’ampleur de l’événement est telle qu’il est nécessairement multifactoriel et qu’il faudra du temps pour en comprendre les causes et en mesurer les conséquences », déclare le colonel Emmanuel Clavaud, responsable de la commission des risques naturels et technologiques de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. Une chose est sûre, toutefois : c’est bien à un redoutable poison, mortel sous plusieurs formes, que les habitants du port chinois ont affaire.

La catastrophe a cause la mort de 114. STR/AFP
La catastrophe a cause la mort de 114. STR/AFP

Au départ, le cyanure de sodium est une poudre. Blanche, inodore. Un produit extrêmement répandu. En France, de nombreuses entreprises métallurgiques l’emploient afin de durcir les métaux. La filière textile en fait, elle aussi, grand usage, dans la composition de tissus acryliques.

Ailleurs dans le monde, notamment en Chine, le cyanure de sodium, ou son cousin le cyanure de potassium, est utilisé dans l’extraction minière, plus particulièrement l’or et l’argent. « Cela nécessite toutefois des précautions draconiennes, explique Florence Pillière, médecin et toxicologue à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Un confinement complet, l’absence d’exposition des salariés et l’utilisation exclusive de machines, des dosages atmosphériques constants, et, chaque fois que c’est possible, la substitution par d’autres produits. »

Cellules privées d’oxygène

Car cette poudre, ingérée par erreur – ou volontairement, pensons aux fameuses pilules des agents secrets –, ou encore appliquée contre la peau, peut être mortelle. Pire, si l’on peut dire, elle peut se transformer en cyanure d’hydrogène, un gaz létal à faible dose. C’est ce terrible composé que dégageaient les fameux cristaux de zyklon B utilisés par les nazis dans les camps d’extermination pendant la seconde guerre mondiale.

C’est ce même produit qui est administré aux condamnés à la peine capitale dans quelques Etats américains. Sous l’une ou l’autre de ces formes, le poison entre dans l’organisme, se fixe sur les cellules et les prive d’oxygène. « Même si vous continuez à absorber de l’oxygène, les cellules, elles, ne peuvent plus respirer », détaille le docteur Jérome Langrand, du Centre antipoison Fernand-Widal.

Dans cet hôpital parisien spécialisé, l’intoxication au cyanure d’hydrogène est fréquemment rencontrée. « Typiquement dans les incendies d’appartement, précise le docteur Langrand. Dès que vous avez un feu de matière plastique, il y a un risque important de dégagement d’acide cyanhydrique [l’autre nom du produit]. » Les canapés, les coussins, certains revêtements muraux peuvent sous l’effet de la chaleur dégager le fameux gaz.

Terrible choix des pompiers

La chaleur : c’est l’un des plus grands dangers, une des trois causes principales de transformation du cyanure de sodium en cyanure d’hydrogène. Les deux autres sont le contact avec un milieu acide et… l’eau. La présence de fûts de cyanure de sodium dans un incendie place donc, chaque fois, les pompiers face à un terrible choix. « Faut-il mettre de l’eau pour éteindre l’incendie au risque d’accélérer la transformation si les conteneurs sont endommagés, ou au contraire renoncer à intervenir ?, interroge le colonel Clavaud. En 2013, après le déraillement d’un train à Wetteren, en Belgique, et l’incendie qui s’en était suivi, les pompiers ont choisi de laisser brûler. Le relargage dans l’air a été moindre, mais il y a eu une forte pollution des sols… »

« Nos collègues chinois ont-ils pris la bonne décision ? Savaient-ils seulement que ces produits se trouvaient là ? Je l’ignore, ajoute-t-il. Et y a-t-il eu interaction avec d’autres produits, des acides par exemple ? Là, vu l’ampleur du sinistre, c’est probable… » L’eau, c’est également la pluie, qui tombait abondamment, mardi 18 août, sur le port chinois, faisant redouter un dégagement gazeux.
Contenir les fuites

Devant l’importance du danger, il importe donc de contenir les conséquences des rejets de cyanure de sodium. Pour réduire les risques de respiration du gaz, un périmètre de confinement de 3 kilomètres a été établi autour de la zone sinistre. Des barrages de sable et de terre ont été construits afin d’encadrer une zone de 100 000 mètres carrés autour du lieu des déflagrations. L’objectif est d’éviter toute fuite de produit. Selon les autorités chinoises, du cyanure de sodium a été retrouvé à 1 kilomètre du sinistre, mais rien hors de la zone confinée. Les monceaux de conteneurs endommagés sont également examinés pour en retirer les matériaux toxiques.

Après avoir relevé dans les eaux proches du lieu du sinistre des niveaux de cyanure jusqu’à 28,4 fois plus élevés que la normale, et même des traces dans la mer, près du port, les autorités chinoises ont fait appel à plusieurs entreprises pour les aider à dépolluer. Installé à 30 kilomètres de là depuis 1997, chargé d’alimenter en eau potable les trois millions d’habitants de la ville mais aussi de traiter les déchets dangereux présents sur le port, le groupe Veolia a été mis à contribution. Depuis trois jours, sa centrale a ainsi reçu 500 tonnes d’eau souillée, sortie des diverses canalisations, soit l’équivalent de sa capacité journalière, précise-t-on chez Veolia. Elle a entrepris de les traiter par oxydation (le cyanure est transformé en cyanate, beaucoup moins dangereux), puis neutralisation. D’autres livraisons sont prévues pour les jours prochains.
Toute la chaîne alimentaire est menacée

Concernant le bilan humain, rien n’a filtré, pour l’heure, sur d’éventuelles victimes du cyanure. Mais nul doute que les Chinois vont se tenir prêts. Car si rien ne peut être fait face aux intoxications de grande ampleur, foudroyantes – elles tuent en quelques minutes –, des antidotes existent pour contrer une absorption limitée. Les Français utilisent une molécule appelée hydroxocobalamine, un dérivé de vitamine B12, dont le SAMU et les services de réanimation sont équipés. « Les Américains préfèrent la cyanocobalamine, mais c’est assez équivalent, précise le docteur Langrand. Et quoi qu’il en soit, inutile de se précipiter vers nous au prétexte qu’on est passé à Pékin [à 140 kilomètres de Tianjin] au moment de l’explosion. On ne l’emploie qu’en cas d’urgence et pour des symptômes avérés. »

Restent les conséquences environnementales. Potentiellement, elles sont importantes. « Sept cents tonnes, c’est énorme, et, contrairement à un insecticide ou un herbicide, le cyanure attaque toutes les cellules, donc tous les organismes », précise Sandrine Andrès, responsable de l’unité d’expertise en toxicologie et écotoxicologie des substances à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris). Des algues aux mammifères, en passant par les champignons, les mollusques et les poissons, toute la chaîne alimentaire est menacée. « Les organismes simples plus particulièrement, car ils ne disposent pas de la protection enzymatique qui nous permet de détoxifier des petites doses de cyanure », poursuit Mme Andres. Certaines bactéries, présentes dans l’environnement, jouent également ce rôle. Mais elles-mêmes peuvent être attaquées par de trop fortes concentrations de poison.

De quoi déséquilibrer potentiellement de nombreux écosystèmes. L’experte ajoute toutefois une note d’espoir à ce triste tableau : contrairement à d’autres polluants, comme le DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane), l’arsenic ou les substances nucléaires, le cyanure ne s’accumule pas dans l’organisme. Pas trop longtemps, du moins. Autrement dit, ses ravages seront rapidement connus. Des autorités chinoises, du moins.

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