L’Afrique apporte sa pierre à la science (6). Le chercheur de l’université de Koudougou travaille sur un projet de satellite destiné à mesurer les effets du changement climatique.
Frédéric Ouattara est un grand rêveur. De ceux qui peuvent passer la nuit à regarder les étoiles ou se laisser absorber par la photographie d’un trou noir. Alors l’an dernier, quand le physicien a annoncé à son entourage qu’il allait envoyer le Burkina Faso dans l’espace, c’est le doute qui a prévalu dans un premier temps. Même si le sérieux du scientifique n’est plus à démontrer.
En plus de son imagination rare, l’astrophysicien sait rester concentré. Il a d’ailleurs un rétroplanning serré qui se matérialisera par un premier satellite burkinabé en orbite « d’ici à la fin de l’année ». La station au sol de Burkina-Sat1 est opérationnelle et la construction du cube satellite est en cours de finalisation.
Avec ce projet, Frédéric Ouattara rêve de faire de sa ville, Koudougou, à 100 km à l’ouest de Ouagadougou, la « cité spatiale du Burkina », une sorte de Cap Canaveral burkinabée. Evidemment, cette ambition ne fait pas l’unanimité, certains estimant le projet un peu fou, d’autres anecdotique à l’heure où le pays est empêtré dans une grave crise humanitaire. Mais pour celui qui a été sacré « meilleur physicien spatial d’Afrique » en 2018 par l’Union américaine de géophysique, cette conquête de l’espace pourrait au contraire permettre de lutter contre la faim, les effets du changement climatique et certaines maladies.
Evaluer l’avancée du désert
Le satellite d’observation scientifique de Frédéric Ouattara sera capable de mesurer le couvert végétal, la pluviométrie et les ressources souterraines en eau. Son objectif est d’évaluer l’avancée de la désertification dans ce pays enclavé du Sahel, où les terres s’appauvrissent et où les ressources naturelles sont limitées. « Avec cet outil, on pourra anticiper les pluies et les sécheresses, dire aux paysans quelle est la bonne période pour semer, mais aussi prévenir certaines maladies respiratoires en contrôlant la pollution atmosphérique », explique le chercheur, qui préside l’université Norbert-Zongo de Koudougou. Dans les zones isolées, le satellite pourrait également compenser l’absence de centres de santé grâce à la télémédecine.
Le bémol à ce vaste programme reste son coût, estimé à plusieurs centaines de millions de francs CFA (plusieurs centaines de milliers d’euros). Car faute de lanceur au Burkina, il devra être envoyé depuis le Japon. Frédéric Ouattara, qui bénéficie du soutien de l’Etat burkinabé, reste pour l’heure confiant, estimant qu’« on arrive maintenant à construire des cubes satellitaires à moindre coût » et qu’ensuite, « tout dépend du matériel qu’on met à bord ».
Enfant, le physicien a appris la géographie du ciel la nuit dans son village, dépourvu d’électricité. « A l’époque, on expliquait tous les phénomènes de l’univers par Dieu. Et ça ne me satisfaisait pas. Je voulais comprendre », confie le scientifique de 54 ans. Faute de télévision, il dévore les aventures en bande dessinée de Tintin dans l’espaceet découvre à l’écoleque la Terre est ronde et gravite autour du Soleil. Il est fasciné.
L’enfant de Koudougou, dont la mère était ménagère et le père infirmier, part donc étudier la physique et les mathématiques à l’université de Ouagadougou. A 29 ans, en fin de thèse de géophysique, il assiste à Abidjan, « un peu par hasard », à une conférence sur le temps dans l’espace. C’est le déclic. Il décide alors de commencer une deuxième thèse, sur l’impact du champ magnétique solaire sur la couche ionosphérique – la partie de l’atmosphère située entre 80 et 1 000 km d’altitude. Mais il peine à trouver les moyens de la financer.
« Il a fallu démarrer de zéro »
Nous sommes dans les années 2000. La seule « ionosonde » du Burkina (un appareil de mesure de l’ionosphère), gérée depuis les années 1960 par des militaires français, a été démontée faute de repreneurs. Il lui faut donc tout construire pour pouvoir faire des mesures. Le physicien commence par installer deux stations GPS sur le toit de l’université de Koudougou et crée, brique après brique, un laboratoire de recherche en énergétique et météorologie de l’espace. Au Burkina, « les étudiants ne connaissaient pas cette science à l’époque, il a fallu démarrer de zéro », se rappelle Frédéric Ouattara.
En quelques années, pourtant, il forme une première génération de physiciens de l’espace, une dizaine de docteurs « made in Koudougou ». Dans le labo du professeur tapissé d’équations, Alphonse Sandwidi, 29 ans, visiblement passionné, ne cache pas sa fierté. « L’espace c’est l’avenir, tous les pays s’y ruent, pourquoi pas le Burkina Faso ? », interroge le jeune chercheur, regard admiratif sur celui qui a ouvert la voie, sans cacher une pointe d’inquiétude : « Malheureusement, les étudiants se détournent de plus en plus des sciences, ils pensent que c’est trop difficile… Et puis on manque de financements pour la recherche et le matériel coûte cher. »
Des réalités que connaît par cœur Frédéric Ouattara. Mais il en faudrait bien plus pour le décourager. Le physicien ambitionne d’ailleurs de construire un planétarium pour « faire rêver les petits Burkinabés, les rapprocher de l’univers et susciter des vocations ». Et pourquoi pas envoyer un jour le premier astronaute du Burkina dans l’espace ? « Il faut voir grand. Tout ce qui sort de l’imagination de l’homme est réalisable par l’homme ! », s’exclame le physicien en citant une de ses sources d’inspiration : l’ancien président révolutionnaire Thomas Sankara.