La photographe néo-zélandaise Ruth McDowall a photographié des ex-otages de Boko Haram. Son travail est exposé jusqu’au 1er novembre au Festival Photoreporter de Saint-Brieuc.
Exposée parmi les dix artistes invités au Festival Photoreporter de Saint-Brieuc (22) jusqu’au 1er novembre 2015, la photographe Ruth McDowall (Nouvelle-Zélande) s’est installée depuis 2008 au Nigeria pour couvrir le conflit ethnique et religieux qui déchire ce pays. Son travail porte principalement sur les jeunes filles qui ont été prises en otages par le groupe djihadiste salafiste Boko Haram – désormais affilié à l’organisation Etat Islamique (EI). Ces survivantes ont réussi à fuir les camps où elles étaient captives. Ruth McDowall porte sur elles un regard tout en pudeur sans masquer ni leur force, ni les traumatismes qu’elles ont subis. La photographe revient pour Télérama sur la construction de ce travail. (Passez votre souris sur les images)
« Mon nom est Ruth McDowal. J’ai vécu pendant six ans au Nigéria. Ce projet a démarré il y a deux ans. J’ai d’abord passé une année à faire des recherches sur les enlèvements perpétrés par Boko Haram. Puis l’année suivante, j’ai réalisé des portraits et longuement interviewé ces femmes rescapées du groupe islamique qui souhaite installer un califat et appliquer la charia. Certaines m’ont raconté qu’elles avaient été kidnappées dans leur maison, de nuit. D’autres en marchant sur la route, en se rendant à l’école en bus, ou encore en route pour un mariage.
J’ai commencé ce travail comme un reportage mais je n’étais pas entièrement satisfaite. Pour n’importe qui, il serait difficile de relater une telle expérience. J’ai donc cherché une nouvelle façon de raconter cette histoire. En plus des portraits, je leur ai demandé de dessiner à quoi ressemblait leur vie dans les camps de Boko Haram, où ces filles et quelques garçons étaient retenus. A quoi ressemblait le lieu ? Comment sont-ils parvenus à s’échapper ? Les écouter, c’est comme regarder un film. Leurs récits sont intenses, plein de suspense. “Et j’ai couru dans telle direction… et j’ai fait ceci… et il y avait deux grands serpents à quelques mètres de nous !” Leurs dessins nous permettent de visualiser l’espace.
Une fois sortis des griffes de Boko Haram, ces filles et garçons ne peuvent pas pour autant retourner chez eux, dans leur village : tout d’abord parce que les terroristes de Boko Haram pourraient venir les y rechercher et les kidnapper une seconde fois. Ces ex-otages détiennent beaucoup d’informations sur le groupe islamiste et sur les camps également. Ils ont besoin d’être délocalisés ailleurs pour leur sécurité. Ces paysages sont des métaphores de leur nouvelle vie, hors de chez eux. C’est une situation extrêmement traumatisante pour eux.
J’aime passer du temps avec ceux que je photographie. L’homme qui dirige l’ONG qui a recueilli ces jeunes m’avait prévenue : “Oublie ton appareil photo pour un moment, jusqu’à ce qu’ils deviennent des amis !” Tous les deux ou trois mois, je suis allée leur rendre visite, partager un moment avec eux, discuter. Cela me convenait, je n’aime pas avoir mon appareil sur moi tout le temps, ni mitrailler mes sujets.
Ces rescapés ont deux visages. Dommage qu’on ne puisse, pour leur sécurité et le respect de leur vie privée, dévoiler leurs traits : les filles ont une personnalité joyeuse, elles rient. Mais quand on commence à les interroger sur ce qu’elles ont vécu, à la fin de l’entretien, une immense mélancolie les submerge. C’est cette émotion que je voulais faire passer à travers ces portraits. »