A Johannesburg, la Chine a publié sa deuxième feuille de route pour l’Afrique. Un document qui reprend en cinq parties et dix programmes les principales orientations de sa politique africaine pour les dix prochaines années. Mais derrière ces belles phrases, il y a des annonces concrètes et des intentions masquées. Décryptage de ce sixième sommet Chine – Afrique.
Aides financières
L’enveloppe de 60 milliards de dollars annoncée par le président Xi Jinping dès l’ouverture du forum a marqué les esprits. La somme est trois fois supérieure aux aides promises lors du précédent sommet en 2012. « La Chine a décidé d’octroyer un total de 60 milliards de dollars d’aide financière incluant 5 milliards de prêts à taux zéro et 35 milliards de prêts à taux préférentiels », a détaillé le président chinois.
« Xi Jinping n’a pas annoncé de calendrier précis sur ces engagements, décrypte Deborah Brautigam, et cela pourrait prendre du temps à mettre en place. Mon sentiment est que beaucoup de pays ont déjà du mal à absorber les prêts chinois depuis ces trois dernières années. Avec la baisse des revenus des exportations, ces prêts seront encore plus difficiles à rembourser. »
Dettes
Xi Jinping s’est engagé à effacer les « dettes gouvernementales sans intérêt déchues fin 2015 ». Cette annonce concerne les pays africains les moins avancés et l’on pense d’abord au Zimbabwe, première étape de sa tournée africaine. La Chine a déjà accordé plus d’un milliard de dollars de prêts à Harare tandis que l’aide publique chinoise au développement a atteint 100 millions de dollars ces trois dernières années. Mais le Zimbabwe peine à rembourser ses dettes. L’économie du pays est très affaiblie par la chute des cours des matières premières, et notamment le platine dont il possède les deuxièmes plus grandes réserves au monde.
« Ce n’est pas l’annulation de toutes les dettes des pays pauvres, réagit Deborah Brautigam. Il s’agit seulement d’une catégorie particulière de prêts à taux zéro. Depuis 2000, la Chine annule régulièrement ce type de prêts que les pays sont incapables, ou tout simplement ne veulent pas payer. »
Infrastructures
La Chine a mis en avant son projet des « trois réseaux d’infrastructures et industrialisation. Un gigantesque projet qui mêle réseau ferroviaire à grande vitesse, réseau autoroutier et réseau d’aviation régional ». Les exemples récents sont légion : 12 milliards de dollars pour la construction par CRCC d’une voie ferrée au Nigeria ; 10 milliards de dollars financés par l’Eximbank pour relier le port de Mombasa à Nairobi. Le coût du fret pourrait ainsi être divisé par trois au Kenya. Et au Nigeria, 200 000 emplois pourraient être créés.
Mais les infrastructures ne sont pas les seuls piliers de la Chinafrique : dix programmes de coopération sur trois ans ont été annoncés à Johannesburg dans les domaines de l’agriculture, de l’industrialisation, de la réduction de la pauvreté, de la santé, de la culture, de la sécurité, de la protection de la nature ou encore du développement vert.
Education
La Chine va créer des centres de formation : 200 000 techniciens africains y seront formés et 40 000 d’entre eux iront en stage en Chine. Mais « envoyer des formateurs chinois en Afrique n’a pas toujours été couronné de succès dans le passé, note Deborah Brautigam. Ainsi l’Ethiopie a dû faire venir des formateurs allemands pour remplacer les instructeurs chinois lors de la construction de ce type de collèges techniques. Espérons que quelqu’un à Pékin aura une réflexion stratégique sur la manière de bâtir l’expertise africaine. »
La Chine va également offrir 30 000 bourses à des étudiants africains et 200 chercheurs seront invités chaque année à poursuivre leurs travaux en Chine. La Chine est devenue une destination privilégiée des étudiants africains avec une augmentation en moyenne de 35 % par an ces dix dernières années du nombre d’étudiants. Selon les chiffres du ministère chinois de l’éducation, 41 677 étudiants africains étaient Chine en 2014.
Lutte contre la pauvreté
Pour l’Afrique, la Chine est un modèle dans la lutte contre la pauvreté. Le gouvernement chinois va lancer deux cents projets de « vie heureuse » (« happy life projects ») qui s’adresseront en priorité aux enfants et aux femmes. Des projets surtout symboliques car aucun montant n’est venu appuyer cette annonce. En septembre dernier, le président chinois avait annoncé à l’ONU la création d’un fonds d’aide au développement de 2 milliards de dollars destiné aux pays les plus pauvres de la planète, notamment en Afrique. La répartition de ces fonds n’a pas été précisée à Johannesburg.
Sécurité
La Chine a annoncé une aide « sans contrepartie » à l’Union africaine de 60 millions de dollars pour financer ses opérations de maintien de la paix, dont le budget représente 750 millions de dollars par an. Cette somme va-t-elle s’ajouter aux 100 millions de dollars sur cinq ans promis par Xi Jinping à la tribune de l’ONU en septembre dernier pour soutenir une force de réaction rapide de l’Union africaine ?
Base militaire
C’est le ministre des affaires étrangères de Djibouti qui a lâché le morceau en marge du sommet : la Chine va disposer d’une base « logistique navale » à Djibouti qui sera opérationnelle fin 2017. Les négociations sont terminées. « C’est une base qui a pour objectif la lutte contre la piraterie, la sécurisation du détroit de Bab-el-Mandeb, et surtout la sécurisation des navires chinois qui passent par ce détroit », a déclaré Mahamoud Ali Youssouf. Cette base sera située sur l’un des quais du nouveau port de Djibouti actuellement en construction. Le porte-parole de la diplomatie chinoise, Hong Lei, insiste sur la vocation « logistique » de cette base. Mais pour Djibouti, la Chine « est un allié stratégique supplémentaire », en plus des Français et des Américains qui disposent d’importantes bases militaires dans ce petit Etat, a expliqué vendredi Mahamoud Ali Youssouf, précisant que Xi Jinping s’était entretenu à Johannesburg avec son homologue djiboutien Ismaïl Omar Guelleh.
Politique
Le président zimbabwéen a profité du Focac (Forum de coopération sino-africain) pour s’en prendre aux « colonisateurs », un de ses sujets de prédilection : « Voici un homme, dit-il en parlant du président chinois, qui représente un pays décrit un temps comme pauvre, un pays qui n’a jamais été notre colonisateur. Il fait ce que nous attendions de la part de ceux qui nous ont colonisés. » « Ce partenariat peut seulement produire des résultats positifs pour l’Afrique, a estimé le président sud-africain Jacob Zuma. Ensemble, nous représentons près d’un tiers de la population mondiale. C’est un potentiel immense. »
Dans la déclaration finale, les participants au sommet ont appelé à la résolution par les Africains des conflits en Afrique. Dénonçant à mots couverts les ingérences étrangères. « C’est une véritable continuité diplomatique que cette référence constante à Bandung, explique Emmanuel Lincot, professeur à l’Institut catholique de Paris. Mais ce que l’on voit aussi, c’est que la Chine, contrairement à ce discours sudiste, n’est pas très différente des autres puisqu’elle aussi va avoir une base militaire à l’étranger. La Chine, selon moi, n’a pas d’ami en Afrique. Elle n’a que des intérêts. »
Trafic d’ivoire
La Chine n’en voulait pas, mais pour la première fois le trafic d’ivoire était à l’agenda du Focac. C’est l’Afrique du Sud qui a milité et obtenu que l’on parle aussi de ce dossier. Si un plan de lutte contre la contrebande a bien été accepté, en revanche il ne concerne que les rhinocéros. Les ONG regrettent que les éléphants soient les grands oubliés du sommet. « L’Afrique et la Chine détiennent les clés de l’avenir des éléphants », affirme Philip Muruthi d’African Wildlife Foundation. La Chine consomme les trois-quarts de l’ivoire provenant illégalement d’Afrique. » En 2014, elle a consacré 10 millions de dollars à la protection des éléphants d’Afrique, notamment pour acheter des équipements pour les rangers au Zimbabwe, en Tanzanie et au Kenya.