Nora Rodriguez n’arrêtait pas de tousser.
Cette enseignante de 51 ans, originaire de Denver, avait constaté une baisse de forme qui la rendait incapable de courir après ses petits-enfants. Elle commençait à avoir du mal à monter les escaliers, n’arrivait plus à reprendre son souffle.
A la fin de l’été 2013, elle est allée à la clinique. On lui a fait des examens et conseillé de prendre des médicaments contre la toux.
Elle s’est mise à prendre l’ascenseur au travail. Quelques mois plus tard, tandis qu’elle faisait des courses avec sa petite-fille, elle a été prise d’une quinte de toux incontrôlable. Elle avait l’impression de suffoquer. Elle est donc retournée à la clinique.
Nouveaux examens, des poumons cette fois. On lui a donné un traitement contre la pneumonie. Elle a eu beau dire que sa toux durait depuis près d’un an, les médecins étaient catégoriques: il s’agissait d’une pneumonie.
Quelques jours plus tard, Mme Rodriguez est de nouveau retournée à la clinique, en expliquant que quelque chose n’allait vraiment pas. Elle a décrit en détail sa perte de poids, sa toux et sa fatigue perpétuels. Des examens complémentaires ont été faits.
Deux jours plus tard, le 18 août 2014, l’hôpital lui a demandé de revenir. L’infirmière qui l’a accueillie portait un masque de protection.
Elle a dit que Mme Rodriguez avait la tuberculose, et qu’elle devait se rendre à l’hôpital. On l’y a emmenée en urgence pour lui faire passer des examens approfondis.
Mme Rodriguez a passé les trois mois qui ont suivi en isolement. Elle a entamé un traitement quotidien à base d’injections et de comprimés qui n’est toujours pas terminé, 14 mois plus tard.Vous vous rappelez tout ce qu’on s’est imaginé sur le sida dans les années 1980? La tuberculose, c’est exactement ça. Une maladie potentiellement mortelle, sous forme de particules qui se diffuse par voie aérienne, expliquait en juillet Eric Goosby, envoyé spécial des Nations unies pour la tuberculose, lors d’une réunion d’information de la Fondation des Nations unies. On peut attraper la tuberculose en faisant la queue à l’épicerie ou au cinéma.
Les bactéries extrêmement contagieuses responsables de cette maladie se diffusent par le biais des minuscules gouttelettes de salive et de mucus qu’une personne contaminée expulse en toussant. Celles-ci peuvent rester plusieurs heures en suspension dans l’air.
Environ un tiers de la population mondiale est contaminé. Les plus chanceux disposent d’un système immunitaire suffisamment solide pour isoler les bactéries responsables de la maladie et l’empêcher de se déclarer. Les plus malchanceux – soit environ 10% des cas – sont victimes de toux violente, de faiblesse extrême, de perte de poids et de fatigue persistante.
En l’absence de traitement, deux tiers des personnes atteintes d’une tuberculose déclarée en meurent. Selon l’OMS, c’est l’une des deux maladies due à un agent infectieux unique les plus meurtrières (après le sida), et la première chez les personnes séropositives.
Plus de 11 000 personnes sont mortes en moins de deux ans lors de la dernière épidémie d’Ebola. La tuberculose fait 4 100 victimes chaque jour dans le monde entier, soit environ 1,5 million de personnes par an. Nombre de professionnels de la médecine jugent cependant ces estimations inférieures à la réalité car la maladie n’est pas diagnostiquée dans l’immense majorité des cas.
Le traitement standard pour la tuberculose dure entre six et neuf mois et guérit 90% des patients, dont une large majorité des 10 000 Américains atteints chaque année par la maladie.
Occidentaux exceptés, nombre de malades ne reçoivent pas de traitement approprié. Et la maladie est en constante évolution.
Mme Rodriguez souffre d’une variante plus récente et plus dangereuse: la tuberculose multirésistante, ou TB-MR, que les experts ont surnommée cancer aérien. Les médicaments habituels contre la tuberculose sont inefficaces, et seules 10% des personnes atteintes reçoivent un traitement approprié. Les 90% restants dépérissent en contaminant jusqu’à la fin leur entourage.
En 2013, il y a eu environ 480 000 cas de TB-MR dans le monde, dont une centaine aux États-Unis. En l’absence de mesures, les taux d’incidence pourraient doubler dans les quinze à vingt ans à venir, selon un modèle mis au point par le docteur David Dowdy, épidémiologiste à l’université Johns Hopkins.
75 millions d’autres personnes perdront la vie dans les 35 ans à venir à cause de la TB-MR, prédit un rapport du gouvernement britannique. La maladie coûtera 15,2 Md€ durant cette même période et fera baisser le PIB mondial de 0,63%.
Aucun doute, je préférerais souffrir d’hépatite C ou du VIH plutôt que d’attraper la tuberculose multirésistante (TB-MR) de nos jours, déclare le docteur Randall Reves. Nous sommes coincés au même point qu’en 1994 avec le sida.
Tout cela pourrait être évité: si tous les cas de TB-MR actuellement diagnostiqués étaient traités, selon M. Dowdy, le nombre prévu de personnes contaminées et de décès pourrait quasiment être divisé par deux d’ici à 2025.
Malheureusement, les gens considèrent qu’ils ne disposent pas des moyens nécessaires pour résoudre ce problème, ajoute M. Dowdy. C’est plus un problème politique qu’un véritable manque de moyens.
Dans ses trois derniers projets de budget, le gouvernement Obama a suggéré de réduire de près de 20% les financements dédiés à la tuberculose de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Chaque fois, le Congrès a rejeté ces coupes budgétaires. En mars, le Président a changé de stratégie, appelant à prendre des mesures draconiennes pour lutter contre les maladies résistantes aux antibiotiques, dont la TB-MR. Le gouvernement dévoilera bientôt un plan d’action national.
Les premières versions du plan d’Obama avaient pour objectif ambitieux d’offrir un traitement à 360 000 malades atteints de TB-MR dans les cinq prochaines années, dans le monde entier, selon le Centre des politiques de santé mondiales. Le centre déclare que ce plan vise à promouvoir la mise en place universelle de traitements contre la TB-MR, à accélérer les recherches sur la tuberculose en général, et à renforcer les capacités nationales à lutter contre la TB-MR, selon les fonctionnaires qui ont discuté au mois de juillet du plan d’action avec les parties prenantes.
Si les États-Unis veulent avoir une chance d’atteindre les objectifs fixés par Obama, il leur faudra augmenter de 102 M€ le financement dédié à la TB-MR, rien que pour l’année à venir, estime David Bryden, qui lutte contre la tuberculose au sein de Results, une association à but non lucratif.
Deux plans d’action similaires contre la TB-MR, publiés en 1992 et en 2009 par les Centres de contrôle et de prévention des maladies des États-Unis (CDC), n’ont jamais reçu les fonds dont ils avaient besoin, et il y a peu de chances qu’il en aille autrement cette fois-ci.
Où est l’argent? demande M. Bryden. Si le Président propose un plan aussi ambitieux, il faut s’en donner les moyens. (…) Le Président s’est engagé directement.
Enrayer l’expansion de la TB-MR sera presque impossible si l’on ne débloque pas de fonds pour la recherche. Le seul traitement disponible pour cette forme de tuberculose est très coûteux. Il met les patients à rude épreuve et ne fonctionne pas toujours.
L’isoniazide et la rifampicine, deux des principaux médicaments utilisés pour combattre les cas ordinaires de tuberculose, n’ont aucun effet sur la TB-MR. Les traitements reposent donc sur une combinaison de médicaments plus anciens, dont les effets secondaires peuvent s’avérer terribles – de la dépression à une perte d’audition permanente, en passant par la psychose médicamenteuse. Ce type d’effets secondaires, associés à l’isolement prolongé qui caractérise le traitement, conduit certains patients au suicide.
La durée et le coût d’un traitement efficace contre la TB-MR aux États-Unis – deux ans, et l’équivalent de plus de 90 000 € – le rendent terriblement difficile à suivre jusqu’au bout. Les traitements contre la tuberculose extrêmement résistante, ou TB-XR, durent encore plus longtemps et coûtent encore plus cher.
Un seul cas de TB-MR peut suffire à dévorer tout le budget d’un service de santé local, explique le docteur Philip LoBue, directeur du service consacré à l’élimination de la tuberculose aux CDC. Sans compter la grande volatilité des prix des médicaments contre la TB-MR, du fait des pénuries et des manipulations des laboratoires.
Même avec un traitement approprié, un patient souffrant de TB-MR a moins de 50% de chances d’être complètement guéri.
Si on m’avait demandé en 1992 si je préférais avoir le sida, une hépatite C chronique active ou la TB-MR, j’aurais opté pour la tuberculose, parce qu’elle était soignable, indique le docteur Randall Reves. Ce professeur de médecine et de santé publique à l’université du Colorado, à Denver, a suivi Mme Rodriguez. Aujourd’hui, en revanche, je préférerais incontestablement souffrir d’hépatite C (…) ou du sida, étant donné qu’il suffit de prendre un comprimé quotidien pour le restant de ses jours pour que la maladie ne se déclare pas. Avec la TB-MR, nous sommes coincés au même point qu’en 1994 avec le sida.
Il n’y a que peu d’avantages économiques à mettre au point des traitements contre la TB-MR. Une large majorité des patients est issue de pays à revenu faible ou intermédiaire, où les laboratoires ne peuvent facturer le plein tarif. La plus grande partie des recherches repose donc sur les financements américains, qui passent par les CDC et l’USAID. Mais, aux États-Unis, financer les recherches sur la tuberculose ne rapporte que très peu, en termes politiques.
Les personnes le plus souvent atteintes par la tuberculose, et tout particulièrement la TB-MR, sont pauvres. Ce sont des immigrés, peu ou pas investis dans la vie politique, déclare M. Dowdy. Il est difficile, à ce stade, d’évaluer la présence ou le développement futur d’une volonté politique de s’attaquer au problème de la TB-MR.
Selon Cheri Vincent, chef de la division des maladies infectieuses de l’USAID, une étude suggère qu’un nouveau traitement contre la TB-MR, la thérapie Bangladesh, pourrait faire passer la durée du traitement de deux ans à neuf mois. Mais elle recourt à des médicaments anciens, aux effets secondaires inquiétants. Pour résoudre véritablement le problème, les médecins auront besoin d’un schéma thérapeutique entièrement nouveau, à base de médicaments conçus pour lutter contre cette forme de tuberculose, ajoute M. Reves.
Il est réellement inadmissible qu’on demande aux gens d’endurer une chose pareille, poursuit-il. La seule chose qu’on soit réellement en mesure de promettre au patient (…), c’est de le rendre malade. Son état pendant le traitement sera bien pire que tout ce qu’il a traversé pendant sa maladie, mais on lui demande de supporter cela, parce qu’il n’y a pas d’autre solution.
Les anciens médicaments qui sont en train de sauver Mme Rodriguez ont eu une incidence désastreuse sur son mode de vie.
Elle n’entend plus ses petits-enfants courir dans sa maison. Une infirmière doit venir tous les jours lui administrer son traitement, et elle est parvenue de justesse à surmonter une grave dépression.
Je veux retrouver ma vie, dit-elle. Je veux reprendre le travail, et pouvoir de nouveau faire tout ce que je faisais avant.
Une petite centaine de cas de TB-MR aux États-Unis, cela pourrait sembler vraiment infime. Mais comme la tuberculose se transmet par voie aérienne, elle peut se diffuser partout. Environ 80% des patients souffrant de TB-MR aux États-Unis sont nés et ont probablement contracté la maladie dans un autre pays. Comme dix sénateurs l’ont dit récemment dans une lettre adressée au Président, la menace peut se diffuser par avion.
Au final, il nous faudra bien reconnaître que la tuberculose est un problème mondial, conclut M. Dowdy. Sans de grandes avancées dans la lutte contre la tuberculose à l’échelle de la planète, nous ne maîtriserons jamais complètement la TB-MR aux États-Unis.
Les voyageurs en provenance de régions frappées par Ebola peuvent subir un dépistage, notamment pour détecter une fièvre, mais la tuberculose ne se repère pas si facilement. Les résultats d’un test de dépistage peuvent mettre des heures à arriver. Bien que tout étranger entrant sur le sol américain avec un visa de travail ou un visa immigrant doive normalement subir un test de dépistage de la tuberculose, ceux dotés de visas étudiants ou de tourisme ne sont pas concernés. Dépister et isoler tous les voyageurs internationaux représenterait par ailleurs un énorme défi logistique.
En 2007, un avocat d’Atlanta, Andrew Speaker, auquel on venait de diagnostiquer une TB-MR s’est rendu en Europe pour son mariage, au mépris des mises en garde des CDC. Il a ensuite repris un vol pour le Canada, avant de revenir aux États-Unis en voiture et de se présenter pour être soumis à un isolement forcé.
En juin dernier, une Indienne atteinte de TB-XR est parvenue à se rendre aux États-Unis en avion et à traverser trois États différents avant de s’adresser à un médecin. Entretemps, elle a été en contact avec des centaines de personnes. Le nom de cette femme n’a pas été divulgué.
J’imagine que [cette patiente indienne] n’a pas eu besoin de chercher bien loin pour comprendre que la tuberculose allait la tuer si elle ne se faisait pas soigner, nous dit M. Reves. Et si elle avait assez d’argent pour voyager, que vouliez-vous qu’elle fasse? À sa place, j’aurais fait la même chose. Je serais monté dans un avion, et je serais parti quelque part où je pourrais recevoir des soins, avant de pouvoir contaminer ma famille et leur imposer le même calvaire. Et il ne s’agit que d’un cas parmi tant d’autres.
Il est crucial de considérer l’aspect humain de la TB-MR. On peut toujours citer des chiffres et des statistiques, commente M. LoBue. Mais rien ne remplace l’échange avec un patient.
Quant à Mme Rodriguez, n’étant plus contagieuse, elle peut à présent sortir de chez elle sans masque. Mais elle a encore six mois de traitement devant elle avant d’avoir assez de forces pour reprendre son poste. Elle espère retrouver ses élèves à l’automne 2016.
Encore un an. (…) Je peux y arriver, nous dit-elle en pleurant. Encore un an.