Peut-on enseigner l’innovation ?

Peut-on enseigner l’innovation ?

On n’a jamais autant parlé d’innovation. Les entreprises ont le choix entre innover ou disparaître, une injonction qui leur impose de trouver des collaborateurs créatifs et capables transformer des idées en produits nouveaux. Mais comment trouver des millions de collaborateurs capables d’innover et de gérer l’innovation ? Naît-on « créatif », ou peut-on apprendre à innover ?

Peut-on enseigner l’innovation ?

L’obligation d’innover ne date pas d’hier. Pour l’économiste Joseph Schumpeter (en 1911), le chef d’entreprise qui se contente de gérer ses affaires n’est pas un entrepreneur. Pour lui, le seul vrai entrepreneur est celui qui innove. Un terme trop général qui recouvre des pratiques différentes.

Innovation incrémentale et innovation de rupture

Il y a d’une part l’innovation incrémentale – le « kaizen » du toyotisme – qui consiste à améliorer sans relâche les processus, les méthodes, les matériels. Et d’autre part l’innovation de rupture, illustrée par la locomotive et le bateau à vapeur, le tracteur agricole, l’ordinateur portable ou le smartphone, qui ont révolutionné leurs marchés respectifs en peu d’années. C’est cette innovation de rupture qui est la clef du progrès, de la réussite, voire de la survie, pour les entreprises technologiques.

 L’innovation, ce n’est pas un flash de génie. C’est un travail difficile. » Peter Drucker

 

Peter Drucker, le « pape du management », ne voyait pas l’innovation comme un don inné : « l’innovation, ce n’est pas un flash de génie. C’est un travail difficile, qui devrait être organisé comme une activité régulière de chaque unité de l’entreprise. » Une préconisation cadrant bien avec l’innovation incrémentale, qui demande simplement que les opérateurs, les techniciens et les ingénieurs, qualifiés dans un domaine — technique, vente, mercatique, finance ou gestion — soient de plus formés à l’analyse des processus et au travail en groupe.

La barre est nettement plus haute pour l’innovation de rupture, qui suppose à la fois de l’imagination (synonyme de créativité), des connaissances générales, une ouverture aux idées originales et une aptitude à collaborer avec des professionnels de toutes sortes. En effet, l’innovation consiste souvent à emprunter des savoirs et des outils à d’autres disciplines que la sienne. Ingénieur horloger de formation, Elmar Mock, qui a conçu la Swatch, a appris la plasturgie pour mener son projet à bien1.

Apprendre, une tâche devenue inutile ?

Douze ans ont passé depuis la mort de Drucker, et les technologies ont fait un bond en avant que le vieux sage avait prévu, sans en imaginer l’ampleur.  Nicolas Sadirac, directeur général de « 42 », l’école qui forme des développeurs par apprentissage mutuel (peer to peer), affirme qu’accumuler des connaissances est nuisible et entrave la créativité : « Apprendre, ça ne sert à rien, c’est dangereux et ça rend idiot ». Il mise totalement sur la créativité et les échanges entre individus : « dans tous les métiers, il y a une base de connaissances, de savoir-faire et de la créativité. Les deux premiers relèvent d’Internet ; toute la valeur de l’homme réside dans sa capacité à créer et à être empathique »2.

En fait, la plupart des métiers ont certes besoin de créatifs, mais qui soient aussi de bons professionnels : ingénieurs, commerciaux, gestionnaires, avec des connaissances et du savoir-faire.

Pour Tom Kelley, patron de l’agence de design IDEO, « l’innovation est un sport d’équipe »3. Dans un de ses livres, il fait le portrait de dix personnages incarnant les compétences nécessaires pour innover, en plus de celles des ingénieurs, juristes et autres professions traditionnelles. On y trouve par exemple l’« anthropologue », chargé de comprendre comment les hommes interagissent avec les produits, les services et les lieux, l’« explorateur » des autres cultures et des autres disciplines, le « conteur » (spécialiste du storytelling), le « créateur de liens », qui sait faire travailler ensemble des gens très différents, l’« expérimenteur », qui construit des prototypes, etc. Cette distribution d’acteurs illustre bien les compétences que doit réunir un projet innovant.

D’une façon moins théâtrale, la société suisse Creaholic, spécialisée elle aussi dans l’innovation, fait collaborer une trentaine de professionnels aux talents très variés : ingénieurs mécaniciens, informaticiens, électriciens, biologistes, chimistes, designers, ébénistes, avocats, financiers, outilleurs, spécialistes du laser, de la robotique ou du droit des brevets.

Quels programmes d’enseignement ?

Il n’est pas facile de répondre au référentiel de connaissances et de savoir-faire foisonnant que nous venons d’esquisser. Parmi les programmes abordant les questions d’innovation dans les universités ou les écoles d’ingénieurs et de management, aucun n’y parvient totalement. L’un des plus originaux est celui du Conservatoire National des Arts et métiers (CNAM), qui possède une chaire « gestion de l’innovation », dont le Professeur titulaire, Gilles Garel, utilise les ressources uniques en France du musée des Arts et métiers pour former ses étudiants à l’histoire et au management de l’innovation.

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