Donald Trump, le faux prophète

Donald Trumph | Photo by Huffington Post

Si le candidat républicain arrivait à la Maison Blanche, il ne pourrait pas appliquer son programme flou et contradictoire. Face à l’immense déception de ses électeurs, il aurait alors besoin de boucs émissaires. Robert Littell s’inquiète de l’avenir des musulmans, Latinos et autres minorités américaines.

Donald Trumph | Photo by Huffington Post

«Les Etats-Unis, c’est un pays où n’importe qui peut être élu président, d’ailleurs n’importe qui a pu l’être.» Pour des raisons péniblement évidentes, depuis quelques années, cette blague ne fait plus rire les Américains.

Les candidats au «n’importe qui» ont évolué au fil du temps. La blague a commencé avec Gerald Ford, que le président Lyndon Johnson décrivait crûment comme «trop bête pour péter et mâcher du chewing-gum en même temps». Plus récemment, elle s’appliquait au mouton noir de la famille Bush, George W., qui, persuadé «dans ses tripes» que Saddam Hussein était le grand ordonnateur du 11 Septembre et développait des armes de destruction massive, a engagé l’Amérique dans une guerre au Moyen-Orient qui dure depuis treize ans et continue de métastaser.

L’absurde candidature de l’impresario de télé-réalité Donald Trump a ressuscité la blague, mais pas le rire. Trump, égomaniaque de référence («vous allez vous ennuyer de la gagne si je suis élu»), «un xénophobe fanatique de la haine raciale» selon le sénateur de Caroline du Sud Lindsey Graham, promet aux Américains blancs sous-éduqués, mal informés et munis d’œillères, qu’avec lui l’Amérique redeviendra une grande nation. C’est-à-dire «redeviendra une nation blanche», comme le précise l’éditorialiste du New York Times Paul Krugman : «Tout le monde comprend que c’est ça, le vrai slogan.»

Ce sous-entendu expose à la froide lumière du jour le racisme implicite, celui qui fonde partiellement, voire majoritairement, le rejet automatique par les républicains de tout ce qu’a pu dire ou proposer Obama, et qui devient atrocement explicite quand Trump tweete que 81 % des meurtres de Blancs sont commis par des Noirs quand, en réalité, 82 % des meurtres de Blancs sont commis par des Blancs. Bien sûr, Trump a refusé de se dédire comme de s’excuser pour son mensonge éhonté.

En vérité, même flou, le projet politique de Trump n’a aucun sens. Il se contente d’attiser les préjugés anti-musulmans, anti-Latinos, anti-Noirs, anti-femelles, anti-juifs, anti-handicapés. Un journaliste poussé à bout par le racisme flagrant du candidat (déportation de 11 millions de Latinos, musulmans interdits d’entrée sur le territoire américain) s’est exclamé : «Est-ce que l’Allemagne ressemblait à ça en 1933 ?» La réponse, effrayante, est : oui. L’Allemagne ressemblait à ça quand la République de Weimar a cédé la place à un autre égomaniaque de référence, Adolf Hitler, qui a séduit l’électorat allemand en promettant que, grâce à lui, l’Allemagne redeviendrait une grande nation. Le Führer s’engageait à bâtir un Reich millénaire. D’une certaine façon, il a réussi, il faudra bien un millénaire pour que le monde oublie l’abjection de son IIIe Reich.

Est-ce que Trump peut séduire l’électorat américain en se flattant que, grâce à lui, l’Amérique redeviendra une grande nation ? La réponse, effrayante, est : oui. Tout peut arriver dans une élection rendue inflammable par un démagogue – un faux prophète, plus exactement – qui s’adresse ouvertement aux anges ténébreux de la conscience américaine.

Alors imaginons ce qui se passera si Donald Trump bat Hillary Clinton et devient le 45e président des Etats-Unis. Quiconque comprend le fonctionnement fédéral américain sait que Trump ne sera pas en mesure de tenir les promesses qui l’auront élu. Il lui sera impossible de déporter matériellement 11 millions de Latinos (l’ironie est que Hitler a été élu avec le projet de déporter 500 000 Juifs allemands, et éventuellement 4 millions de Juifs européens, à Madagascar, colonie française) – les tribunaux fédéraux bloqueront la déportation d’enfants latinos nés aux Etats-Unis, donc citoyens américains – ; la guerre contre Daech ne s’arrêtera pas de sitôt, c’est une évidence – un ancien patron de la CIA a déclaré publiquement que l’armée refusera d’obéir à des ordres de crimes de guerre (torturer «même si ça ne marche pas», cibler les familles de terroristes en représailles) – ; le Mexique a déjà annoncé qu’il ne financerait pas la grande muraille à 10 milliards de dollars de Trump, autant dire qu’elle ne sera jamais construite ; les tribunaux n’autoriseront pas l’interdiction d’entrée sur le territoire américain aux membres d’une religion particulière, acte discriminatoire (d’autant que les princes saoudiens comme les rois de Jordanie ou du Maroc, tous musulmans, auront toujours leurs entrées à Washington) ; Trump obtiendra peut-être que le Congrès, républicain, réduise les impôts, mais la conséquence en sera l’augmentation de la dette nationale et du déficit américain déjà colossal ; les tribunaux fédéraux s’opposeront à «l’élargissement» de la loi sur la diffamation qui permettrait à Trump de poursuivre les journalistes qui disent des «trucs négatifs» sur lui.

Ainsi le faux prophète échouera lamentablement. Mais comment le président Trump pourra-t-il justifier ses échecs ? Qui blâmera-t-il ? Etant donné ses déclarations passées – et son caractère (ou manque de) -, la dernière personne qu’il remettra en cause, c’est lui. Comment imaginer que le grand Donald Trump, après avoir déjoué toute logique électorale, toute tradition politique et jusqu’à l’institution républicaine, déçoive ses électeurs ?

A moins de, mais oui, à moins de désigner quelqu’un d’autre ou, encore mieux, une catégorie ethnique. Oui, Trump aura besoin d’un bouc émissaire et il n’en manquera pas. Les «violeurs» latinos qui n’ont pas sauté sur l’occasion de se faire déporter en masse, les Noirs qui ont voté comme un seul homme pour Hillary Clinton, le gouvernement mexicain qui a refusé de financer son mur, les juges qui ont sanctuarisé le premier amendement qui garantit liberté d’expression et liberté de la presse, les Américains musulmans qui prétendent aller et venir comme n’importe quel Américain, selon la clause du premier amendement qui garantit la liberté religieuse ; le protestataire qui crie des slogans anti-Trump à la Maison Blanche – Trump ne manquera pas d’inclure les journalistes «répugnants et menteurs» trop contents de pointer ses promesses non tenues. Et s’il ne parvient pas à «assouplir» les lois antidiffamatoires, une administration Trump incitera le service des impôts (dont elle aura nommé le dirigeant) à multiplier les contrôles fiscaux des journaux, magazines et chaînes d’information offensifs.

Et puis – est-ce que l’Allemagne de 1933 ressemblait à ça ? -, il reste toujours le bouc émissaire idéal, les juifs que Trump n’a pas manqué d’insulter durant sa campagne pour, selon les mots de Jeb Bush, se tailler un chemin jusqu’à la Maison Blanche à coups d’insultes.

Gagnant ou perdant, Trump aura malheureusement laissé son empreinte sur le corps politique américain. Les gens sont nostalgiques d’une époque où républicains et démocrates s’affrontaient avec dignité et gouvernaient avec honneur. La montée du Tea Party et l’infatigable hostilité des républicains envers le premier président noir ont empoisonné l’atmosphère à Washington. Hélas, l’apparition de ce nouveau «n’importe qui» a sans doute réduit à néant tout espoir de revenir aux temps heureux de la dignité et de l’honneur.

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