Comment la France entend se ressaisir en Afrique

Plus que jamais, l'heure est à la reconquête des marchés perdus et à une meileure stratégie que les nouveaux grands concurrents que sont la Chine, l'Inde, la Turquie, l'Allemagne...

Alors que les entreprises françaises perdent d’importantes parts de marché sur le continent, l’heure est à la mobilisation générale à tous les niveaux dans l’Hexagone. À commencer par une approche lucide des réalités du terrain.

Plus que jamais, l’heure est à la reconquête des marchés perdus et à une meileure stratégie que les nouveaux grands concurrents que sont la Chine, l’Inde, la Turquie, l’Allemagne…

Face à l’accélération du tempo des affaires sur le Continent, la France semble avoir perdu pied. Résultat : et son influence et ses parts de marché s’en ressentent. Plusieurs facteurs expliquent ce recul visible dans les chiffres même concernant l’export. « Dans plusieurs pays d’Afrique francophone, la chute des parts de marché françaises est impressionnante. Entre 15 et 20 points de pourcentage en Algérie, au Maroc, en Côte d’Ivoire, et 25 au Sénégal », note Coface dans une récente étude. La situation actuelle est la suivante : d’un côté les acteurs africains veulent aller plus vite pour capter financements et investissements tout en bénéficiant des apports des bailleurs de fonds. De l’autre, la France semble faire trop de dons pour le développement là où la Chine et d’autres accordent de plus en plus de prêts aux États africains lancés dans «  l’émergence  ». Pour que la France tire son épingle du jeu de la compétition mondiale, il faudrait, selon plusieurs spécialistes, centraliser l’aide, raccourcir les délais d’exécution et fractionner les projets. Des propositions ont été avancées par plusieurs acteurs du monde économique, le Medef en tête, et plus récemment par le président Emmanuel Macron. Face au pragmatisme allemand et à l’offensive chinoise qui promeut sa nouvelle Route de la soie, la France peut-elle encore se ressaisir et changer son logiciel vis-à-vis de l’Afrique pour mieux être à même de reconquérir ses parts de marché ? La question est posée.

Prendre conscience du recul et l’affronter

Au sein du Comité Afrique de Medef International qui se réunit ce 5 septembre, on veut y croire. « Il faut d’abord rappeler que l’Afrique a connu une croissance exponentielle exceptionnelle. Désormais, la compétition y est internationale. Et si vous regardez bien, le recul de la France n’est que relatif quand on sait qu’elle avait historiquement des parts importantes. Par contre, en valeur absolue, la France et les entreprises qui se sont installées dans une relation durable continuent d’avoir des positions très fortes », analyse posément Bruno Metling, président du Conseil des chefs d’entreprise France-Afrique de l’Ouest au Medef et ancien PDG d’Orange en Afrique et Moyen-Orient.

Malgré ces propos qui se veulent rassurants, le constat est frappant : en 2000, les exportations françaises représentaient près de 11 % des flux vers l’Afrique. Ce chiffre a été divisé par deux en 2017, pour représenter 5,5 % selon Coface. Dans une note publiée le 20 juin, et qui a fait l’effet d’une bombe, l’assureur-crédit s’est penché sur cette tendance qui s’accélère. « L’érosion du poids de la France à l’export en Afrique s’inscrit dans un mouvement plus global de perte de vitesse des exportations françaises dans le commerce mondial (de 4,7 % de parts de marché en 2001 à 3 % en 2017). Dans une moindre mesure, l’Italie, le Royaume-Uni et les États-Unis suivent la même tendance sur le continent », indique Coface. Et sans surprise, la Chine affiche, elle, une progression fulgurante de ses parts de marché à l’export, passant de 3 % en 2001 à près de 18 % en 2017, suivie par l’Inde, la Turquie et l’Espagne.

La Chine en embuscade…

Non seulement la France perd des parts de marché au profit de l’Inde et surtout de la Chine, mais, en 2017, elle a également perdu son statut de premier fournisseur européen du continent africain, dépassée par l’Allemagne. « I l faut rééquilibrer la présence française en Afrique parce qu’historiquement, c’est vrai qu’on était beaucoup en Afrique de l’Ouest et c’est normal, mais il faut que les entreprises françaises se développent de plus en plus sur l’Afrique de l’Est et sur les pays émergents », relativise Bruno Metling, s’appuyant sur cette même analyse de Coface qui  suggère qu’il existe un gain potentiel pour les exportations françaises de l’ordre de 21 % dans les pays où sa présence est relativement faible comme dans les pays d’Afrique de l’Est.

 … mais aussi l’Allemagne et son bilatéralisme

Pour Roland Portella, s pécialiste en développement d’entreprises et président de la Cade (Coordination de l’Afrique de demain), ce qui ne marche plus, c’est le prisme d’analyse de la coopération Nord-Sud qu’appliquent encore les entreprises françaises. Et de citer le cas de l’Allemagne qui a clairement choisi d’avoir une approche bilatérale avec une organisation de ses activités en filières. « L’approche allemande peut intéresser l’Afrique, car les Allemands investissent en coentreprise, c’est dans leur ADN. C’est comme ça qu’ils ont développé l’Allemagne et se sont implantés dans le reste de l’Europe », explique-t-il. Selon lui, les Allemands ont longtemps cherché comment se différencier. Et de lister parmi leurs atouts : les compétences stratégiques dans les industries, les équipements technologiques et le savoir-faire. « Maintenant, ils ont une logique d’investissement sur le long terme en Afrique. » Le déclic serait arrivé au moment où la Turquie s’est tournée vers l’Afrique. « C’est vrai que tous les organismes qui travaillent sur les exportations françaises veulent investir en groupe, mais la culture française à ce niveau est en retard. De l’autre côté, on le voit même si ce n’est pas formel la Chine et l’Inde ont la même approche, mais dans l’informel. Ils viennent en meute aussi avec des travailleurs qui investissent ensuite dans d’autres secteurs des économies », poursuit-il.

Structurer les filières

Tirant ses observations du terrain, Roland Portella affirme que l’avenir de l’Afrique se joue justement sur la structuration des filières. Derrière les récentes tournées africaines de la chancelière Angela Merkel, se déploie une véritable stratégie autour des exportations. Ces visites ont permis de mettre en place deux outils : l’un pour renforcer les garanties aux entreprises dans l’export et celles pour les investissements, l’autre outil porte sur les mesures d’exonération. Des mesures d’incitation qui existent déjà en France. Justement avance Roland Portella « les Français ont vraiment tous les atouts, mais ça ne prend pas réellement parce qu’il faudrait d’abord regrouper tous les instruments en une espèce de guichet unique à l’export. Sur ce terrain, les Allemands vont beaucoup plus vite. »

Pour résumer, «  les Allemands ne vont pas forcément chercher à vendre un produit, mais cibler des filières dans lesquelles ils vont associer des entreprises africaines  ». «  Maintenant, à l’Afrique de se positionner en tant que demandeuse  », poursuit-il. « Il faut savoir que les entreprises allemandes ne regardent même pas le positionnement des entreprises françaises. Ils contactent directement les Indiens et les Chinois pour créer des joint-ventures avec ceux qui sont déjà bien positionnés en Afrique », ajoute-t-il. Ces joint-ventures vont combiner la rapidité chinoise dans l’acquisition des marchés à des produits allemands de qualité reconnus mondialement. Preuve que « l’Allemagne n’espère plus seulement devenir le premier fournisseur européen, mais le premier investisseur industriel en Afrique », ajoute Roland Portella pour qui les entreprises de taille intermédiaire, les ETI françaises, pourraient jouer un rôle moteur dans la reconquête des marchés grâce à leur technologie, leur savoir-faire et leur positionnement.

Un nouveau tempo africain face aux lourdeurs de l’Union européenne

Au Medef, l’urgence est ailleurs. « Il y a urgence à faire avancer les sujets des Accords de Cotonou qui définissent le cadre de coopération entre l’Union européenne et les pays des régions Afrique, Caraïbes, Pacifique. Ils expirent en 2020 et les négociations ont commencé fin septembre. Je suis un peu déçu du manque de résultats des recommandations que nous avons produites. On ne peut pas laisser la relation Europe-Afrique aller vers la reproduction de modèles qui ont montré leur limite dans le passé ! » s’agace Patrice Fonlladosa. Dans le viseur du Medef, le Fonds européen de développement (FED), principal outil de coopération de l’Union européenne. Composée essentiellement de dons, l’allocation de ces ressources a donné, dans de nombreux cas, des résultats contre-productifs. En effet, des Accords de Yaoundé aux Conventions de Lomé, l’Europe a manqué son partenariat avec l’Afrique.

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