Courageusement, jʼai fait mon entrée dans un monde sans retweets, sans thinspiration, sans dizaines de photos des enfants des autres.
Il y a sept ans de cela, je suppliais ma mère de mʼautoriser à mʼinscrire sur Facebook. Depuis, jʼai essayé de nombreuses fois de réduire mon usage des réseaux sociaux — en vain.
Jʼai pourtant tout tenté: supprimer les applications de mon smartphone, me lancer des micro-défis pour voir combien de temps je tiendrais sans rien publier, et même désactiver mes divers profils.
Mais toutes ces stratégies ne fonctionnaient jamais longtemps… Comment aurait-il pu en être autrement? En digne représentante de la génération Y, jʼavais fait des réseaux sociaux un élément central de ma vie: tantôt journal intime, tantôt album photo, principal moyen dʼinformation, outil pour travailler mon image et même partie intégrante de mon activité de professionnelle de la communication et de rédactrice freelance. Certaines de mes relations nʼauraient pas existé sans eux! Impossible de renoncer à tout ça.
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Ce qui, à lʼadolescence, nʼavait été quʼune façon bien innocente de garder le contact avec mes amis et ma famille est devenu une véritable addiction quʼà 22 ans, jʼétais bien incapable de maîtriser. Tous les matins, à peine réveillée, mon premier geste était de passer sur Instagram, Twitter, Facebook et Snapchat, entamant un cycle sans fin: faire défiler, actualiser, faire défiler, actualiser — à chaque instant de la journée, jusquʼau moment dʼaller au lit. Il me semblait vivre entièrement à travers mon écran, exposée à une salve permanente de selfies, photos dʼanimaux, clichés de tenues, potins de stars, bouleversements politiques, publicités et hashtags.
Jʼétais si étroitement connectée à l’existence des autres que jʼen oubliais la mienne. Et ce nʼétait pas tout: malgré mon aversion pour les maths, je devenais obsédée par les chiffres. Il me fallait des likes, retweets et autres notifications. Je vivais pour cet afflux de dopamine qui mʼenvahissait à chaque fois que quelquʼun réagissait à mes publications.
Bien sûr, je nʼignorais pas que cette fixation était vaine et inutile… Mais encore aujourdʼhui, en fermant les yeux, je ressens presque ma jalousie intense face au nombre de mentions Jʼaime des portraits de dernière année de mes amis Facebook, si supérieur au mien [aux États-Unis, les élèves de terminale font traditionnellement faire un portrait dʼeux avant lʼétape clé de la remise du diplôme, N.D.T.]. Avec une vision du monde aussi désaxée, la différence de popularité entre ma photo et les leurs devenait la preuve tangible que jʼétais moins appréciée quʼeux.
Ce qui, à lʼadolescence, nʼavait été quʼune façon bien innocente de garder le contact avec mes amis et ma famille est devenu une véritable addiction quʼà 22 ans, jʼétais bien incapable de maîtriser.
Et ce moment nʼavait rien dʼun incident isolé. Jʼai passé des années à retenir mon souffle après chaque mise à jour de mon statut Facebook, actualisant la page encore et encore dans lʼattente de ma première notification. Impossible dʼêtre vraiment fière dʼune réussite, dʼune décision importante ou dʼun article de blog tant que mon groupe dʼamis ne mʼavait pas fait savoir son approbation!
Dans mes pires moments, je me surprenais à fantasmer sur les futures grandes étapes de ma vie: mariage, avancement professionnel, vacances… Autant de moments que je ne voyais plus sous lʼangle de lʼépanouissement que jʼen tirerais, mais des statistiques extraordinaires à y récolter. (Oh, évidemment, parcourir lʼEurope ou décider de passer le restant de ma vie avec mon petit ami aurait été formidable… Mais pas moins que de voir enfin sʼafficher un nombre à trois chiffres devant le célèbre petit cœur dʼInstagram, pas vrai?) Je ne pouvais plus continuer comme ça.
Alors en mars dernier, jʼai récupéré mes données Facebook et mes photos Instagram; je me suis déconnectée de Snapchat et, comble de l’exploit, jʼai même supprimé mon compte Twitter, disant adieu à ma petite mention Inscrit en 2009 [année fréquemment considérée comme celle du décollage du site, N.D.T.]. Courageusement, jʼai fait mon entrée dans un monde sans retweets, sans thinspiration, sans dizaines de photos des enfants des autres.
Dans les 16 mois qui ont suivi, je me suis sentie à la fois plus et moins en contact avec le monde qui mʼentourait. Jʼai pris bien moins de selfies, ce qui a augmenté mon estime de moi — fini de me faire surprendre par la caméra frontale de Snapchat! Jʼai aussi renoncé à me définir comme la fille qui sʼest un jour fait retweeter par la marque Starbucks, bâtissant une toute nouvelle identité: celle de quelquʼun qui apprend les informations les plus importantes dans une vie (et oui, je parle bien de la grossesse de Kylie Jenner!) par un SMS de sa mère ou de sa sœur.
Ce passage permanent en mode hors ligne mʼa forcée à changer ma manière de me tenir au courant de lʼactualité — et de passer le temps dans la queue des magasins. Jʼai découvert de nouvelles manières de garder le contact avec les gens, et accepté le fait que certains de mes liens amicaux nʼavaient aucune substance en dehors du Web. Mon quotidien nʼest plus ponctué par une quelconque #JournéeNationaleDeTrucBidule venue inonder mes fils dʼactualité de centaines de photos thématiques, que je dois ensuite parcourir dans ma recherche constante dʼannonces de fiançailles et de portraits des chats dʼEd Sheeran.
Pour ceux qui me prendraient pour une ascète 100% déconnectée, je préfère clarifier les choses: pas besoin de posséder un compte pour garder un œil sur les réseaux sociaux. Entre les profils publics qui sʼaffichent même aux personnes non connectées (ou non inscrites), les recherches Google et un petit coup de main des mots de passe dangereusement faciles à deviner de ma mère, il y a encore des gens dont je nʼai pas manqué une publication depuis un an. Mais si je continue, de temps à autre, à suivre de loin certains profils, les réseaux sociaux nʼemplissent plus chaque seconde de mon temps libre. Ils ont officiellement perdu leur fonction de source no 1 de divertissement, de lien social et dʼaffirmation de soi — et bon sang, quʼest-ce que ça fait du bien!
Bien sûr, vu lʼomniprésence de ces plateformes, il peut être difficile de conserver une vie sociale pleine et entière sans y posséder un profil. La suppression de mes comptes mʼa notamment fait perdre toutes les données accumulées pendant des années sur mon appli Nike+ Run Club. Jʼai aussi manqué un grand nombre de détails du voyage dʼétudes de ma sœur à Berlin, principalement rapportés sur Snapchat. Jʼai connu plus dʼune conversation gênante avec un ami ou un membre de ma famille qui croyait que je lʼavais supprimé ou avais cessé de le suivre. Sans les réseaux, tout le monde oublie systématiquement mon anniversaire, et je nʼai plus jamais connaissance de celui des autres.
Aussi impossible que cela aurait pu me paraître autrefois, jʼapprécie même dʼavoir de nouveau une vie privée, faite de petits secrets et de moments privilégiés que je ne confie quʼà mes plus proches (même sʼil ne sʼagit que de mon menu du jour).
Jʼai appris que ma personnalité ne pouvait se résumer en 140 ou 280 caractères ou dans une courte biographie — en fait, un site entier nʼy suffirait pas. Et ce nʼest pas gênant; aujourdʼhui, ça me convient même très bien.
Mais ma plus grande découverte a sans doute été moi-même, cette inconnue derrière lʼécran. Le problème nʼa jamais été les réseaux. Le problème, cʼétait moi — moi qui me suis réveillée un matin incapable de me rappeler la dernière fois que jʼavais tenu une journée sans passer sur Instagram, Twitter ou Facebook. Cette année a été entièrement dédiée à reprendre le contrôle sur ma vie, apprécier vraiment le monde et les personnes qui mʼentourent au lieu de me laisser polluer lʼesprit par les comparaisons et les distractions.
Pendant trop longtemps, jʼai usé de ces sites pour tenter de me trouver — et, face à lʼimpossibilité dʼy parvenir, de me définir. Je mʼy suis construit une fausse identité, plus professionnelle, plus efficace, plus posée que mon être véritable. Peut-être quʼun jour, je me sentirai prête à y revenir — ou peut-être pas. Pour le moment, les bénéfices compensent largement mes petits coups de FOMO.
Cette décision mʼa tellement apporté, autant en termes de productivité que de relations humaines et de philosophie de vie. Jʼai appris que ma personnalité ne pouvait se résumer en 140 ou 280 caractères ou dans une courte biographie — en fait, un site entier nʼy suffirait pas. Et ce nʼest pas gênant; aujourdʼhui, ça me convient même très bien. En ligne comme dans la vie, personne ne pourra jamais convertir son identité, sa valeur, son importance en code, pixels et autres gigaoctets. Savoir cela me fait du bien, plus de bien que toutes les notifications du monde.