Mamoudou Gassama, droit d’agile

Cavalcade médiatique au côté du sans-papiers sauveteur d’enfant, héroïsé par les Français, naturalisé par Macron et bombardé pompier.

Mamoudou Gassama | Photo Olivier Culmann. Tendance floue pour Libération

Mamoudou Gassama n’est pas là. On l’attend jeudi matin, dans le hall de l’hôtel où il dort depuis quelques jours, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), et il ne vient pas. Oh, il n’est pas loin, nous dit-on, mais le problème, c’est qu’il n’arrive pas à avancer. Le garçon de 22 ans est parti au bureau de poste, et tout le monde l’arrête, le félicite. Il ne l’a pas choisi, mais c’est l’homme du moment, c’est comme ça. Son corps ne lui appartient plus, il est propriété médiatique d’une nation en quête de héros à mythifier, porté en triomphe par une marée de selfies. «Il faudra apprendre à gérer l’après, quand il ne sera plus dans la lumière, dit Djeneba Keita, adjointe au maire PCF de Montreuil qui s’est transformée en attachée de presse. Ça a été dur pour Lassana Bathily, qui s’est retrouvé seul, par exemple.» Les deux hommes se sont rencontrés. Le brave de l’Hyper Cacher, désormais employé à la mairie de Paris, lui a donné des conseils, seul à seul.

Mamoudou Gassama a escaladé samedi à toute vitesse quatre étages pour sauver un enfant pendu dans le vide. Un vidéaste amateur a tout filmé et depuis, tout le monde se l’arrache. Le sans-papiers malien, arrivé à Paris en septembre, qui vivait dans un foyer de travailleurs et va emménager vendredi dans un logement social, a été reçu par Emmanuel Macron lundi. Le Président a déroulé le tapis rouge : médaille de remerciement, procédure de naturalisation, service civique aux pompiers de Paris pour l’incroyable athlète. La totale. Pour les médias, c’était «la» personne à avoir. Les motards de Barthès et Hanouna ont manqué de se battre pour qu’il aille d’abord à Quotidien plutôt qu’à Touche pas à mon poste, et réciproquement. Catherine Barma, grand manitou de On n’est pas couché, ne décolère pas que l’entourage de Gassama ait refusé le face à face avec Moix et Angot. Folie. «Il n’est pas prêt et il n’est pas là pour ça, tranche Djeneba Keita. On lui demande d’avoir des avis, de prendre position sur la politique d’immigration de Macron, mais ce n’est pas son rôle !»

Ah ! Mamoudou Gassama arrive, baskets Nike, jogging Wati B, tee-shirt Adidas et sweat à capuche. A ses côtés, son frère Diaby, plus âgé, depuis vingt-cinq ans en France. Il est fatigué, répond souvent par «oui» ou par «non», la voix plus lointaine qu’un entrefilet d’eau au cœur de la montagne. N’importe comment, tout est «super» et tout le monde est très «gentil», le Président, les politiques, les pompiers. Il est un peu méfiant, et ça se comprend, on le serait à moins, trimballé d’inconnus en inconnus, à devoir (re)raconter sa performance, à mettre des mots là où les images parlent d’elles-mêmes. Le nouveau Spider-Man est Hercule après ses travaux. Pas besoin de bavarder, les ménestrels médiatiques s’en chargent à sa place. Il y a un sauvetage magnifique, une glorification totale, et un homme qui ne la ramène pas parce qu’il en a vu d’autres. Bien pire. Arrivé en 2013 en Italie après avoir réussi à traverser la Méditerranée à sa deuxième tentative, le Malien, passé par le Burkina Faso et le Niger, a connu les geôles libyennes, les coups et brimades sous le soleil écrasant du Sahara. Même loin de sa famille, sans argent, il dit que «Roma, c’était super, parce qu’il n’y a pas l’esclavage comme en Libye». Son regard se voile.

Soninké, l’ethnie majoritaire chez les Maliens en France, Mamoudou (ou Mamadou sur ses papiers mais tout le monde dit «Mamoudou») a grandi à Yaguiné, dans la région de Kayes, dans l’ouest du Mali. Sixième d’une famille de neuf enfants, père agriculteur, le gamin a été mis tôt à contribution. Il montre les cicatrices sur ses mains et fait le geste du sécateur coupant l’herbe des champs. La vie au village, il ne regrette pas : trop dure. Sa mère est morte en 2011. Adolescent, lui est envoyé un temps travailler en Côte-d’Ivoire. Il doit rentrer à cause de la guerre civile. Une équipe de France Télés est allée rencontrer sa famille sur place. Sa tante Sané Touré : «Il a prouvé que partout il peut s’imposer. Malgré la galère, nos enfants nous aiment et ils prennent soin de nous.» «S’il a voulu partir, c’est parce qu’il voulait suivre nos exemples en Europe», dit Diaby. Son sympathique frère, laveur de carreaux, répond la plupart du temps à la place de Mamoudou, mal à l’aise en français.

Vite, vite, il faut y aller. L’acrobate est attendu dans une émission de radio d’Africa n°1, à Bastille. Dans la voiture, on papote football et le sportif se déride. Il s’enthousiasme pour Pogba, Matuidi, Kanté et Giroud, raconte qu’il soutenait déjà «les Blancs» avant d’avoir des papiers. «Les Bleus», le corrige son frère. «Ah ! Ah ! Oui, les Bleus !» Ça l’amuse. Bon milieu de terrain, on le surnommait «Zidane» dans son village. Ça tombe bien : l’ex-coach du Real veut le voir et l’a invité à Madrid. Folie, encore. A la radio, l’animateur, Patson, un humoriste, râle parce que la nouvelle star est en retard. «On ne va même pas lui donner un verre d’eau, il fait le ramadan et on est pauvre», s’amuse-t-il. Mamoudou Gassama, qui a interrompu son jeûne le temps de laisser passer la tempête médiatique, écoute d’une oreille distraite. Il préfère parler de sa chanteuse préférée, Nahawa Doumbia, de Gaspi, un rappeur malien à la mode, de Booba et de Maître Gims.

Diaby et Djeneba Keita le taquinent sur les filles qui vont toutes le draguer. Il baisse la tête et sourit, gêné. «Je préfère rester avec ma copine, elle est gentille.» Ils sont depuis peu de temps ensemble. Elle s’appelle Soukouné, a 23 ans. Soninkée elle aussi, elle est née en France. Samedi soir, ils dînaient ensemble et avaient prévu de regarder la finale de la Ligue des champions, dans le quartier de la Chapelle, dans le XVIIIe arrondissement.

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