Abdelmadjid Tebboune, un ex-fidèle d’Abdelaziz Bouteflika, a remporté vendredi l’élection présidentielle en Algérie, mais pour être aussitôt contesté par le puissant mouvement (Hirak) populaire et pacifique qui ébranle le pays depuis près de dix mois.
M. Tebboune, 74 ans, a été élu dès le premier tour de la présidentielle, avec 58,15% des suffrages, a annoncé vendredi l’Autorité nationale des élections (Anie).
Il a fait carrière au sein de l’appareil d’Etat algérien, notamment aux côtés de M. Bouteflika qui en fera très brièvement son Premier ministre, avant une brutale disgrâce. C’est le premier président de l’Algérie à ne pas être issu des anciens combattants de la Guerre d’indépendance contre le pouvoir colonial français (1954-1962).
M. Tebboune a devancé l’islamiste Abdelkader Bengrina (17,38%), Ali Benflis (10,55%), Azzedine Mihoubi (7,26%) et Abdelaziz Belaïd (6,66%), tous anciens proches ou alliés de M. Bouteflika. Ses rivaux ont concédé leur défaite et n’ont pas l’intention de contester les résultats.
Lors de sa première conférence de presse, il a dit tendre la main au +Hirak+ pour un dialogue afin de bâtir une Algérie nouvelle.
Il s’est aussi engagé à amender la Constitution (…) qui sera soumise à un référendum populaire, sans en préciser les modalités, et à lutter contre les corrompus.
Plus tôt vendredi, une véritable marée humaine a envahi, encore une fois, le centre d’Alger pour conspuer le nouveau chef de l’Etat, au lendemain d’un scrutin boycotté par le mouvement de contestation inédit qui a contraint en avril M. Bouteflika à la démission, après 20 ans à la tête de l’Etat.
Le taux de participation (39,83%) est le plus bas de l’histoire des scrutins présidentiels pluralistes en Algérie. Il est inférieur de plus de 10 points à celui du précédent –le plus faible jusqu’ici–, qui en 2014 avait vu la 4e victoire de M. Bouteflika.
Le vote est truqué. Vos élections ne nous concernent pas et votre président ne nous gouvernera pas, scandaient les manifestants qui ont défilé nombreux à Alger en ce 43e vendredi de mobilisation depuis le déclenchement du Hirak en février.
Les contestataires se sont dispersés dans le calme en fin d’après-midi.
Pour le sociologue Nacer Djabi, Tebboune va démarrer avec un grand handicap de légitimité. Même si le scrutin n’est pas falsifié, les Algériens n’ont plus confiance.
Pire que Bouteflika
Tebboune, c’est pire que Bouteflika. Il est connu pour avoir fait partie des voleurs. On n’a pas voté et on ne fera pas marche arrière, a déclaré à l’AFP Meriem, fonctionnaire de 31 ans.
Manifestants et internautes moquent le président cocaïne, allusion à un fils d’Abdelmadjid Tebboune en détention provisoire dans une affaire de trafic d’influence liée à la saisie de 700 kg de cocaïne dans un port algérien en mai 2018.
A Oran (ouest), une manifestation a été interdite et, selon un journaliste local, les policiers ont tabassé et ramassé plein de monde.
Premier chef d’Etat étranger à réagir, le président français Emmanuel Macron a pris note de l’élection d’Abdelmadjid Tebboune et appelé les autorités à engager un dialogue avec le peuple algérien.
Washington a de son côté affirmé soutenir le droit des Algériens à exprimer pacifiquement leurs opinions, tout en se félicitant du déroulement du scrutin.
Les résultats définitifs seront publiés entre le 16 et le 25 décembre, après examen d’éventuels recours.
Not My President
Aucun des cinq candidats n’a trouvé grâce aux yeux du Hirak, qui les considère tous comme des purs produits d’un régime abhorré.
Sur Twitter, où démarre une campagne sur le thème Not My President, le hashtag du jour est #Le_Hirak_continue, en arabe.
La saison 2 du +Hirak+ va commencer mais il faut que l’on soit mieux organisé, assure Farida, une retraitée sexagénaire.
Les contestataires exigent la fin du système aux manettes depuis l’indépendance et le départ de tous les anciens soutiens ou collaborateurs de M. Bouteflika.
Ce système est à bout de souffle. On assiste à l’agonie d’un système, ça prendra le temps qu’il faudra mais les Algériens, vous ne les ferez pas retourner à la maison, assure l’historienne Karima Dirèche, spécialiste du Maghreb contemporain.
Après une première tentative d’élection avortée en juillet, le haut commandement de l’armée, pilier du régime, ouvertement aux commandes depuis le départ de M. Bouteflika, a tenu coûte que coûte à organiser ce scrutin pour sortir de la crise politico-institutionnelle, qui a aggravé la situation économique.
Le vote s’était déroulé jeudi sans incident majeur à travers le pays sauf dans la région traditionnellement frondeuse et majoritairement berbérophone de Kabylie, théâtre de troubles.
Ô Kabyles, on est fier de vous. A Tizi Ouzou (ndlr: grande ville de Kabylie), l’Etat est à genou, ont chanté des hirakistes à Alger.