À vous qui voulez renvoyer les migrants chez eux, je vais vous dire d’où ils viennent vraiment

Stefano Rellandini / Reuters Une opération de sauvetage de migrants en Méditerranée, le 18 juin 2017.

Mon bateau, en pleine mer Méditerranée, a été submergé par des centaines d’êtres humains dans une détresse qui m’était entièrement étrangère. Je suis confrontée à la souffrance des Hommes.

Stefano Rellandini / Reuters
Une opération de sauvetage de migrants en Méditerranée, le 18 juin 2017.

Lettre ouverte au médecin traitant de mon père, homme bon de son état, impliqué dans la vie paroissiale de sa petite ville et en partance prochaine pour le Laos pour venir en aide aux pauvres et aux opprimés.

Cher Docteur,

Quelle ne fut pas ma déception quand mon père m’apprit hier qu’alors qu’il vous faisait part de mon engagement en Méditerranée centrale, vous avez froidement répondu: “il faut les renvoyer chez eux”. Cher Docteur, je ne doute pas que tout au long de votre carrière, vous ayez vu et porté assistance à des êtres humains dans la plus grande détresse et précarité.

Peut-être avez-vous connu vous-même des moments difficiles, des moments de souffrance, des moments de panique. Ainsi, je ne peux que penser que vous êtes simplement très mal informé sur la situation en Libye en ce moment. Laissez-moi vous éclairer:

Cher Docteur, ma carrière est encore bien courte mais sachez que, en tant que sage-femme, la misère humaine fait partie de mon quotidien. “Sage-femme? Misère humaine?” vous étonnerez-vous. Mais oui, beaucoup de femmes n’accèdent aux services sanitaires que pendant leur grossesse.

Ainsi, depuis le début de ma carrière médicale dans une banlieue d’Édimbourg, qui a inspiré le célèbre film Trainspotting, jusqu’au tréfonds du Congo où j’ai récemment passé neuf mois avec Médecins Sans Frontières, mon engagement professionnel et personnel consiste à alléger un tant soit peu la détresse de ces femmes en leur apportant des soins de qualité, un sourire et une oreille pour les écouter, en somme, un moment humain dans le plus pur respect de leur dignité.

Cher Docteur, ça, c’était avant. Avant que mon bateau, en pleine mer Méditerranée, à quelques kilomètres de la Libye, ne soit submergé par des centaines d’êtres humains dans une détresse qui m’était entièrement étrangère. Pour la première fois, je suis confrontée à la douleur et la souffrance des Hommes: hommes, femmes et enfants.

A bord de l’Aquarius, mon domaine est le “refuge”: une petite salle de 30m2 à l’abri des intempéries qui recueille les femmes et les enfants rescapés de ces horribles petits cercueils flottants à bord desquels ils sont montés en Libye, au plus noir de la nuit, dans l’espoir d’atteindre l’Italie où ils supposent qu’une vie meilleure les attend.

Lors de la dernière opération de sauvetage de l’Aquarius, j’avais 130 femmes et enfants entassés dans les 30m2 de mon petit refuge, et près de 900 hommes éparpillés sur tous les ponts de notre petit vaisseau de 77 mètres.

La vaste majorité des gens que nous sauvons viennent d’Afrique de l’ouest, quelques Érythréens, quelques Éthiopiens, quelques Bengalis et une très faible minorité de Libyens ou autres Maghrébins. Tout comme moi qui ai émigré au Royaume-Uni pour des raisons économiques (meilleure carrière, meilleure paie, meilleure qualité de vie), les Sub-Sahariens venaient en Libye pour les opportunités qu’elle leur offrait, ou pour sauver leur peau.

Certains y ont passé des années avant de se résoudre à monter à bord de ces petites barques gonflables surchargées. En effet, le pays part à vau-l’eau: milices, groupes armés, clans et tribus se battent pour les clefs du pouvoir et comme toujours dans les conflits armés, les plus vulnérables en font les frais.

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