Santé

Des excisions “minimes” proposées par deux gynécologues américains

Des excisions minimes permettant de respecter les traditions culturelles sans mettre en danger la santé des femmes, devraient être tolérées. Telle est la proposition de deux gynécologues américains dans un article qui suscite la polémique, au sein du monde médical, et au delà.

Excision | DR
Excision | DR

Dans leur article, les deux praticiens ne prononcent même pas les mots excision ou infibulation , sans doute trop connotés à leurs oreilles. Ils parlent de circoncision féminine et proposent une « solution de compromis », au nom du respect réciproque culturel et de la protection sanitaire des femmes. Merci aussi désormais d’employer l’expression  « altération génitale féminine » en lieu et place des FGM – mutilations génitales féminines -, expression consacrée dans les textes internationaux. Une manière d’adoucir cette locution sans doute trop brutale, et d’amoindrir la violence physique qui va avec. Enfin ne dites plus chirurgie pour parler de l’ablation du clioris et autres opérations, mais procédures.

Le poids des mots avant le vécu

Du reste, dès les premières lignes de leur réflexion, les médecins mettent en parallèle circoncision masculine, pratiquée par la majorité des familles aux Etats-Unis, et les amputations opérées dans et sur les organes génitaux des filles, pour justifier leur raisonnement. Ils se fondent aussi sur les chiffres toujours alarmants, en dépit des interdictions, de la prévalence de ces pratiques à travers le monde, en particulier en Somalie, ou en Egypte, les deux pays les plus affectés du continent africain, malgré des lois, effectivement inopérantes si elles ne sont pas accompagnées de conviction, d’imagination pour transformer les organisations et les statuts sociaux liés à ces coutumes.

« Nous ne disons pas que les interventions sur les organes génitaux de la femmes sont souhaitables, mais plutôt que certaines interventions devraient être tolérées par des sociétés libérales », écrivent les deux auteurs dans une revue spécialisée, le Journal of Medical Ethics.

Dans leur introduction, les deux médecins, Kavita Shah Arora et Allan J. Jacobs, une femme et un homme, tous deux de Cleveland (Nord Est des États-Unis) dressent un constant : malgré les campagnes de prévention, la pratique des altérations génitales féminines a très peu reculé. Elle est également stable dans les pays où elles sont exécutées sans précaution. C’est pourquoi nous devons adopter une position plus nuancée qui reconnaît un large éventail de procédures en vue de modifier les organes génitaux féminins.

On se frotte les yeux. Est-on certain-e d’avoir bien lu ? La justification arrive quelques lignes plus bas : Ainsi, en acceptant ces altérations génitales féminines minimalistes, nous renforcerions nos efforts pour une prise en charge compassionnelle via un compromis qui respecte les différences culturelles mais protège les patientes.

Des campagnes internationales contre l’excision, perçues comme sensationnalistes, ethnocentriques, racistes, culturellement insensibles et simplistes

Pour eux, les systèmes législatifs répressifs, mis en place dans les pays occidentaux,  sont inopérants, même s’ils reconnaissent ne pouvoir estimer ce dysfonctionnement. Les migrants arrivés dans les pays occidentaux vont continuer à soumettre leurs filles aux altérations génitales féminines, même si le taux de ceux qui le font est difficile à évaluer. Les lois qui les interdisent peuvent entraîner des risques sanitaires pour les filles, puisqu’elles se feront dans la clandestinité, par des exciseuses acheminées pour l’occasion, ou dans le pays d’origine au cours d’un séjour des enfants envoyées par leurs parents lors de vacances. Rendre ces pratiques illégales entraîne de surcroît une difficulté à étudier leurs conséquences directes et empêche toute tentative de dialogue constructif. Cette culture du silence a été provoquée par une méfiance instinctive face aux campagnes internationales, perçues comme sensationnalistes, ethnocentriques, racistes, culturellement insensibles et simplistes.
Et ils vont plus loin encore : finalement, nous avançons l’idée que qualifier ces petites procédures de ‘mutilations’ fait preuve d’insensibilité culturelle et de discrimination vis-à-vis des femmes, d’autant qu’elles ne constituent pas des violations des droits humains. Puisque, écrivent-ils encore : elles servent de rites de passage dans des sociétés qui marquent plus que nous la différence entre les sexes.

La solution est donc toute trouvée : « Pour tenir compte des croyances culturelles, tout en protégeant la santé physique des filles, nous proposons une solution de compromis dans laquelle les États libéraux autoriseraient des altérations sexuelles féminines minimes, en adéquation avec les obligations culturelles et religieuses (on rappellera cependant qu’aucune religion ne prône dans des textes ces mutilations, ndlr), mais qui proscriraient les altérations dangereuses responsables de dysfonctionnements sexuels ou reproductifs. »

Selon eux les militant-es des lois prohibitives négligent les recherches, les nuances qui permettraient de dégager des degrés dans les effets invalidants des altérations génitales féminines. Et les gynécologues se montrent très affirmatifs : des mini amputations du clitoris par exemple, permettraient une sexualité épanouie et orgasmistique.  Ils proposent même une nouvelle classification internationale établissant des degrés dans les conséquences des MGF pour les femmes, ce qui exonèrerait de toute sanction les plus petites, comparables à des interventions dentaires, des implants mamaires, à la labiaplastie (amélioration plastique de la vulve ndlr), pour lesquelles de riches patientes sont prêtes à payer des milliers de dollars.
Une affirmation et des comparaisons qui laissent sceptiques nombres de leurs consoeurs et confrères.
Relativistes contre universalistes

Les commentaires et réfutations à la suite de leur article sont nombreuses, les approbations plus rares, dans la communauté médicale et au delà. On y voit la fracture de plus en plus profonde entre partisans du relativisme culturel (que l’on retrouve par exemple chez les adeptes d’une réflexion post-coloniale) et les universalistes pour lesquels la souffrance est absolue et ne peut être minimisée.

Brian D. Earp, un chercheur américain en bioéthique redoute que l’autorisation d’excisions minimalistes aboutisse à un fiasco, en multipliant les problèmes légaux, réglementaires, médicaux et sexuels. Le Dr Arianne Shahvisi de l’Université britannique du Sussex (sud du Royaume Uni) estime de son côté que cette approche aurait peu de chance d’aboutir au but recherché qui est le contrôle de l’appétit sexuel des femmes par les hommes, et non pas une simple cérémonie d’initiation .

Toutes les traditions culturelles ne méritent pas le respect

Ruth Macklin, philosophe américaine

Les deux interpellés ont répondu, dans un autre texte : Nous apprécions les convergences entre notre position et les points de vue des commentateurs. En particulier, nous tenons à souligner la position du professeur Macklin qui estime respecte notre démarche en la critiquant. Philosophe et professeure de bioéthique à New York, Ruth Macklin a adressé une longue réponse intitulée Toutes les traditions culturelles ne méritent pas le respect à cette proposition de prétendues vraies-fausses excisions. A première vue cette proposition de mise en place d’une ‘circoncision’ féminine équivalente à la masculine paraît recommandable. Il semble même correct de dire que ces ‘altérations de minimis’ (c’est à dire à très faible risque, ndlr) ne seraient pas des violations des droits humains. Et pourtant d’où vient que je me sens résistante à accepter cette apparente solution à un problème de santé publique qui affecte des millions de femmes et fillettes ? En fait je me sens profondément sceptique vis-à-vis des postulats qui sous-tendent les propositions des auteurs.

Il n’est pas inutile de rappeler les chiffres pour permettre à chacun-e de se forger une opinion : selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) quelque 200 millions de femmes ont été victimes d’excisions dans le monde, principalement en Afrique et au Moyen-Orient. Et de réécouter ce que la merveilleuse chorégraphe Martha Diomandé, fille et petite fille d’exciseuse, elle même excisée, aujourd’hui militante infatigable, via la persuasion, de l’abandon de cette pratique, confie à propos de sa propre sexualité : les filles qui me disent qu’une fois réparées après avoir été excisées, elles sentent à nouveau des choses, elles me font bien rire. Elles se mentent à elles-mêmes. Quand on a été coupée, on reste coupée.

Ces deux gynécologues américains sanctifient le culturel et ne prennent résolument pas en compte les nouveaux facteurs sociaux, économiques, des petites ou jeunes filles ou fillettes mutilées qui résident aux Etats-Unis : elles vivent, grandissent sous d’autres latitudes que leurs parents, où leur vie de femme adulte se déroulera à l’aune de nouvelles habitudes.
Et on attend les candidates qui se présenteront aux consultations des docteurs Kavita Shah Arora et Allan J. Jacobs en leur demandant : bonjour, pourriez-vous me faire une mini altération génitale, s’il vous plaît ?

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